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Peinture
Sculpture
Photographie
Xérys,
Prochaine publication 1/01/2024:
chapitre 2 Aria
le Voyage vers les Sept Soleils
Tout un Monde à découvrir...
« Le connu est fini, l’inconnu infini
ce que nous comprenons n’est qu’un îlot perdu dans l’océan illimité de l’inexplicable…. »
T.H. Huxley
15.11.2020 Mise en ligne du 1er chapitre
Le Fichier Docx directement accessible sinon pendant quinze jours le chapitre 1 sera mis progressivement sur le site
Xérys, Oh ma Blanche Mère
Aux Temps venus de mon âge,
Je partirai quêter ton âme
Comme aux Temps Jadis, mon père.
Xérys, Oh ma Blanche Mère,
Tu me montreras ma puissance
Dans la fragmentation de l’Essence.
Je prendrai ma quête de l’Alvant
Et je renaîtrai d’Irmani la splendide.
Xérys, Oh ma Blanche Mère,
Je ferai le Voyage vers les Sept Soleils.
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(Extrait des chants d’initiation de la fragmentation de l’Essence. Traduction agréée officielle)
1
LYRDE : La première Rencontre
Du fond de l’espace, le disque vert luminescent resplendissait comme enchâssé dans une étoffe sombre aux paillettes scintillantes. Cela faisait longtemps qu’il était visible mais maintenant il grossissait si vite que les hublots seraient bientôt occultés pour éviter la cristallisation extérieure lors de la pénétration dans son atmosphère. Éésis avait détaché à regret son regard de la belle planète argentée que le transporteur avait frôlée pendant une partie du voyage et examinait celle de sa destination : Lyrde. Tout en scrutant les strates nuageuses aux teintes rosées qui maintenant accentuaient le jade de son halo, ses pensées vagabondèrent de nouveau malgré lui vers Xérys la planète blanche.
Au bout de quelques sectièmes, le soupir pressurisé des protections interrompit le cours de ses pensées et l’apparition brutale de son image le renvoya à la réalité. La lumière crue du couloir éclairait sa silhouette, il n’était pas très grand, un visage plutôt jeune aux traits accusés, souvenirs de ses nombreuses expressions moqueuses et un regard lointain au fond duquel flottait le souvenir d’un autre reflet aperçu quand il avait pris sa décision dans la salle de projection tridic sur Taor. Bien sûr, il manquait au reflet qu’il contemplait ces reliefs familiers nés de la clarté orange fuchsine de l’a-jour de sa planète natale avec ses ombres mouvantes violettes, bleu azur et rose orangée, mais c’était surtout l’absence du médaillon de Préssenteur sur son torse qui lui faisait prendre toute la mesure de sa décision : en partant, il avait tout laissé. Son regard scrutait le visage qu’il voyait et il se mit à repenser aux évènements qui l’avaient mené jusque-là.
Le Conseiller Étidanoé, dirigeant de la planète de Taor, lui avait demandé de réunir la confrérie des Préssenteurs, il le revoyait arpenter avec agitation la place octogonale en attendant que tous aient pris place sur les gradins. Dès qu’Éésis avait ouvert la séance en lui donnant la parole, le Conseiller avait gravi les marches de la tribune pour leur expliquer que Lyrde, une des huit planètes de la Grande Charte devenait trop isolationniste et qu’après la dernière multiliaison les dirigeants des autres planètes et lui-même projetaient une action commune avant d’arriver à une décision ultime bien plus radicale. « Donc, avait-il continué, il nous faut envoyer quelqu’un suffisamment motivé pour accepter cet exil, quelqu’un qui puisse étudier et comprendre ce qui se passe réellement. Pourquoi les habitants de nos planètes ressentent un tel attrait? Pourquoi perdent-ils peu à peu toute attache avec leurs mondes d’origine et comment peuvent-ils en si peu de temps devenir à l’image des lyrdes, si identiques ? Il nous faut enfin une personne que nos six planètes acceptent comme leur émissaire et dont l’émigration soit considérée comme digne d’intérêt par Lyrde. Je pose ce problème à la Confrérie : Préssenteurs votre réponse ? »
Une fois cette interrogation posée, il était sorti laissant l’enceinte octaédrique se refermer sur eux, en les isolant du monde extérieur. Du plafond, était lentement descendu l’emblème de la confrérie, un octaèdre aux plans de construction circonscrits par un cercle qui s’était mis à tourner d’abord doucement puis de plus en plus vite jusqu’à devenir une sphère de lumière éblouissante. Elle tenait le rôle d’initiateur et leur permettait d’atteindre l’état semi-conscient où se déclenchait la transmutation analogique. À cet instant, l’esprit des Préssenteurs amorçait leur raisonnement en prenant en compte tous les paramètres qui leur étaient connus pour aboutir à la Réponse, dont l’infaillibilité était devenue légendaire parmi les Descendants. Cette capacité à pressentir au plus juste découlait des connaissances conscientes et subconscientes accumulées et dépendait surtout de la facilité de l’esprit du Préssenteur à isoler le raisonnement de toute influence émotionnelle extérieure ou intérieure tout en gardant les paramètres interférents.
Éésis était le plus jeune taor à être devenu membre de cette confrérie. Son assimilation très rapide de toutes les connaissances intégrées à l’inconscient pendant la formation d’un Préssenteur et sa facilité à réaliser la transmutation analogique lui avaient permis de terminer bien avant tous ses condisciples mais ce, à un âge qui lui interdisait de siéger dans l’enceinte de la confrérie. Il avait alors entrepris des études sur l’évolution comparative des Descendants et il s’était mis à réexaminer consciemment de nombreux enregistrements dont celui de la grande Charte le A.00.00. Ce document fondateur, le plus ancien archivé après le jour du grand désastre, jetait les bases de leur nouvelle existence et décidait du départ de la zone spatiale terrestre en transformant les huit stations orbitales en nefs interstellaires. Leurs noms ou sigles, issus des projets-porteurs qui les avaient financées, avaient été plus ou moins transférés aux planètes qui les accueillirent au terme de leur périple millénaire: Aria, Arnie, Gania, Jiliane, Lyrde, Soliden, Taor et Xérys, huit planètes viables situées dans différents systèmes du même quadrant spatial. Xérys était la seule à être quasiment dépeuplée depuis une cinquantaine d’a-t-v. Pour cette raison peut-être, Éésis orienta ses recherches vers elle sans trouver beaucoup d’informations dans les banques mémoires de Taor ce qui accrut considérablement son intérêt. Quand il eut parcouru tous les documents de Taor, il lui restait encore plus d’une a-t-v avant de pouvoir prendre sa fonction au milieu de ses pairs. Il finit par solliciter de se rendre sur les autres planètes de la Charte pour étudier leurs archives et parfaire ses connaissances sur les Descendants. Éésis avait alors pu y séjourner en tant qu’invité officiel des planètes de la Charte, mais sans pouvoir se rendre ni sur Lyrde qui était depuis longtemps en dehors des relations planétaires ni sur Xérys, la planète morte, une destination qui semblait déplaire au Conseil de la confrérie. À son retour, il avait rassemblé une quantité de connaissances rarement atteinte par un taor mais surtout il était devenu un spécialiste de Xérys.
Avant même la fermeture de l’enceinte, tout en observant le Conseiller terminer sa demande à la Confrérie, Éésis avait su la réponse finale. L’assemblée de ses pairs y était parvenue rapidement. L’unanimité s’était faite sur le plus renommé d’entre eux, Éésis connu des cinq autres planètes où il avait séjourné et dont la notoriété de préssenteur et de spécialiste de Xérys faisaient un candidat digne d’intérêt pour Lyrde. Il se doutait que le Conseiller Étidanoé avait voulu lui imposer ce choix en questionnant sa confrérie et qu’il savait qu’Éésis se conformerait aux conclusions de ses pairs.
Tout en réfléchissant à ce qu’il devait faire après avoir écouté une nouvelle fois l’énoncé de la Grande Charte, Éésis avait fixé son reflet où le médaillon de Préssenteur brillait dans l’ombre de la salle tridic. Il n’avait rien perdu de l’insatiable curiosité de sa jeunesse, il savait que la tentation était trop forte. Sa décision était prise : il partait. En fait comme il s’en doutait il n’était pas le seul à en être convaincu. En arrivant chez le Conseiller pour lui faire part du résultat de l’assemblée et de sa propre décision, celui-ci lui avait alors révélé que son émigration, validée par les autres planètes, avait déjà été proposée à Lyrde qui l’avait accueillie favorablement et qu’une navette l’attendait pour partir au coucher du deuxième soleil si cela lui convenait. Éésis avait accepté avec une expression narquoise que n’avait pas semblée voir le Conseiller. On lui laissait une trentaine, lui confirma ce dernier en lui souhaitant bon voyage, deux a-t-v, deux années de temps-voyage pour trouver une solution.
La lumière du couloir se mit à clignoter rapidement modifiant le reflet de son visage; Éésis secoua la tête dans l’ombre comme pour chasser ses pensées.
L’applanétissage sur Lyrde n’allait pas tarder, il devait retourner s’asseoir. Lyrde…Que connaissait-il vraiment de Lyrde ? La nef L.I.I.R.D.E avait été financée à l’origine par un mouvement pacifiste regroupant des scientifiques, des philosophes et un groupe de mécènes. Des neurobiologistes, des endocrinologues, des sociologues, des biophysiciens et de nombreux autres scientifiques s’étaient joints aux simples membres cobayes ou techniciens et y étudiaient dans ce lieu clos, les moyens de faire disparaître les problèmes de violence et de guerre quand le désastre s’était produit. La société de Lyrde en découlait. Elle était parvenue à une unité planétaire sans défaut. Sa prospérité, sa sérénité avaient affleuré les bulletins galactiques de la Charte entraînant vers ce paradis florissant des vagues de départ massif parmi les meilleurs éléments des autres planètes. À une époque plus récente, le conseil de la Charte avait prohibé pendant un temps ces nouvelles mais cette censure n’avait finalement fait qu’aggraver la situation. En dernier recours, il n’hésiterait pas à prendre une décision extrême pour protéger les autres descendants si aucune solution n’était trouvée.
Lyrde conservait jalousement ses secrets et même aux temps plus éloignés où elle envoyait des représentants en ambassade, ceux-ci entretenaient plutôt son mystère. Ils possédaient une intelligence vive, des connaissances très étendues et une sérénité que rien ne parvenait à entamer. Rien ne les différenciait nettement dans leur physique, dans leur façon de se mouvoir, le ton de leur voix et même la détermination du sexe prêtait à équivoque au point que certains avaient parfois évoqué la notion d’androgynie. Au bout de la cinquantième génération après la réimplantation planétaire des descendants, une adaptation à leur nouvel environnement avait commencé à se produire et maintenant après deux cent treize générations des différences s’étaient installées notablement en entraînant des « types » planétaires. Mais les Descendants avaient les mêmes racines, leur nature profonde aurait dû ressurgir et troubler cette sérénité par des dissensions même mineures. Pourtant rien de cela ne semblait se produire. En un mot, les lyrdes comme leur planète demeuraient une énigme étrange et d’autant plus incompréhensible que dans les tridics envoyés à intervalles réguliers par les nouvellement partis, leurs proches voyaient les traits s’estomper et dans le regard transparaître la même sérénité que celle des lyrdes jusqu’à cet a-jour où ils cessaient toute communication.
Le Conseil des planètes de la Charte semblait craindre que Lyrde ne devienne à force une menace de domination ou d’invasion. Mais pourquoi, une société qui prônait la paix irait provoquer un conflit ? Ce serait en totale opposition avec les préceptes qui avaient participé à sa fondation ! Ce n’était pas concevable pour un préssenteur et si la question du Conseiller Étidanoé à la confrérie avait été celle de savoir s’il fallait voir en Lyrde un danger, la réponse aurait été négative. Mais se dit Éésis, il était vrai que les préssenteurs ne possédaient que trop peu d’éléments sur la société Lyrde, ce qui rendait la justesse absolue de cette réponse sujette à caution…Une trentaine, seulement deux anciennes années de temps voyage : c’était peu pour se faire admettre et décortiquer le secret de Lyrde et tout préssenteur qu’il fut, pensa-t-il avec lucidité, s’il le découvrait, pourrait-il y trouver une parade et revenir pour en rendre compte ? Le voudrait-il seulement ?
Sur Lyrde, la brise avait déclenché la symphonie des Lyres, hymne enchanteur qui répandait trois fois par soleil une douceur ineffable sur toute la planète.
L’être de Lyrde s’éveilla.
Il posa ses index sur les deux petits disques brillants placés en arrière des oreilles. Il ferma les yeux plongeant dans la synthèse planétaire d’une harmonie parfaite et respira profondément en libérant tous les accès de son esprit : ils étaient étales. Les notes des Lyres s’égrenaient légèrement dans l’atmosphère, la deuxième brise durerait encore quelques sectièmes. On évoluait dans un monde de sensations apaisantes et de connaissances infinies. L’une d’elle annonçait que lui, Slor se rendrait au planétodrôme de Lyrde 7, vers la troisième brise, pour y accueillir Éésis originaire de Taor, une planète du système Derth à deux soleils. Le visage sans trait du lyrde se troubla d’une vague frémissante née de cette variation positive, aussitôt, il équalisa en la déversant dans la mer de la synthèse où elle s’unit à une variation négative venue d’un autre endroit de la planète.
Le lyrde rouvrit les yeux, se leva et sortit. Ce visage à la physionomie indéfinie, la peau aux pigmentations vertes mordorées, la silhouette longiligne qui se déplaçait lentement en donnant la sensation de ne pas toucher le sol, ces mouvements très fluides conféraient aux lyrdes une sorte de grâce aérienne et formaient un ensemble évanescent.
Slor longea la margelle courant le long d’un bassin alangui au milieu du jardin ; des oiseaux papillons aux quatre ailes vibrionnantes y voletaient de fleurs en fleurs, les unes aux pétales ciselés et transparents et les autres d’un mauve profond teinté de reflets qui variaient du rouge vif au vert sombre selon l’intensité lumineuse et l’humidité ambiante. Sur le bassin immobile, entre les disques bruns aux nervures concentriques qui flottaient, les nébulosités rosées du matin se reflétaient sur les abîmes insondables du ciel vert pastel. Tout était impassible.
Il passa sous un portique de pierre polie, se dirigeant vers une autre partie de l’immense demeure et entra dans une pièce très claire aux parois transparentes, sur l’une d’elle de nombreux tiroirs brillants s’alignaient. Il en ouvrit un et se mit à consulter des feuillets de métal. Il étudiait Xérys depuis un certain temps et connaissait bien les différents métalits qu’Éésis avait conçus sur la planète blanche et sa venue éclairerait sans doute ce qu’il avait évoqué au sujet de la fragmentation de l’Essence. La synthèse avait chargé Slor d’accueillir et de guider Éésis, ainsi ces prochains a-jours allaient se révéler plein d’intérêt, il n’en doutait pas. Il sortit un des feuillets de métal, alluma un jet de lumière sur un pilastre saillant de la paroi et le posa dessus. Le métalit se mit à tournoyer lentement en parcourant des sortes de huit entremêlés. Des paroles commencèrent… La voix d’Éésis le touchait profondément et entraînait toujours ce frémissement, immédiatement absorbé par la synthèse.
« Cet extrait est significatif de cette période et il est tiré des chants d’initiation : Xérys, Oh ma blanche mère, aux temps venus de mon âge, je partirai quêter ton âme, comme aux temps jadis… »
Et Slor se dit que les temps étaient venus.
C’est ainsi que peu après la troisième brise se fit la première rencontre entre Slor et Éésis. Ce dernier ne pouvait s’empêcher de dévisager son interlocuteur pendant leur échange de salutations ; Éésis n’avait jusqu’à présent jamais approché de lyrde et comme les rapports l’en avaient prévenu, il planait sur son apparence un tel flou indéfinissable qu’il était incapable de déterminer si le Lyrde était de sexe masculin ou féminin.
- On me nomme Slor…Le voyage s’est bien passé ?
-Tout à fait. Merci. Où sommes-nous ?
-Ce planétodrôme se trouve près de Lyrde 7, une des villes de la planète. On m’a chargé d’être votre guide, Éésis…
Le lyrde l’entraîna vers une sorte de coupelle de couleur moirée et l’invita d’un geste de la main à y monter. Éésis l’examina d’un air curieux à la recherche d’un quelconque siège ; il ne voyait sur le sol qu’une auréole claire sur laquelle il passa la main. Le lyrde eut comme un imperceptible plissement aux commissures des lèvres qui serait certainement passé inaperçu au regard du taor si celui-ci l’avait observé à cet instant.
- Essayez
Éésis commença par s’asseoir avec précaution et sentit une résistance, surpris il se pencha pour voir si un siège ne s’était pas matérialisé mais il n’en était visiblement rien. Il s’installa plus à son aise et levant son regard vers le lyrde, il demanda d’un air intéressé :
- Comment ?
-C’est très simple, mais quand vous participerez à la synthèse, on vous renseignera précisément.
La coupelle partit très vite en s’élevant au-dessus de la surface du sol. Bientôt, le paysage se mit à défiler trop vite pour qu’Éésis puisse vraiment le contempler. Ce voyage lui inspirait un sentiment étrange qu’il avait du mal à cerner. Il se mit à observer son guide qui semblait absorbé par la conduite de la coupelle. Son visage semblait se transformer continuellement et cette mouvance ininterrompue le mettait mal à l’aise. Pourtant, il ne pouvait s’empêcher de dévisager le profil du lyrde, le nom de Slor ne lui était d’aucune indication, il ignorait par trop les habitudes lyrdes : « beau » ou « belle » la différence était décidément peu évidente. En tout cas, il savait qu’« il » n’était pas l’un et l’autre et comme cela se disait parmi les descendants : « ce qu’un préssenteur dit savoir… ». Éésis continuait de détailler le visage de son conducteur, la première sensation s’estompait pour être remplacée par une autre plus agréable. Slor avait un visage d’un ovale étiré, encadré de cheveux taillés en pointes comme des plumes dont les reflets clairs renvoyaient le vert du ciel, sa peau avait une teinte presque translucide s’irisant à la lumière ce qui accentuait l’absence de traits appuyés, de rides ou de reliefs marqués et lui donnait comme un air juvénile.
Éésis réalisa tout à coup que le vent que devrait entraîner le déplacement de la coupelle ne parvenait pas jusqu’à eux alors que rien ne les séparait de l’extérieur. Il voulut avancer sa main vers l’avant de la coupelle mais le lyrde l’en empêcha vivement.
- C’est dangereux, on aurait dû vous prévenir. La force est très violente et pourrait vous arracher la main. Vous comprendrez cela dans quelques a-jours, mais auparavant, il faut vous reposer et vous préparer à la synthèse.
Éésis inclina la tête en signe d’acquiescement en se disant qu’il valait mieux laisser les évènements suivre leurs cours. Le temps s’écoula, Éésis se sentait moins tendu. La vitesse de la coupelle s’était mise nettement à diminuer, lui permettant de voir plus précisément le paysage environnant. Il apercevait de nombreux bras d’eaux qui couraient paisiblement tout autour des zones de culture où des arbres de petite taille formaient des bosquets. L’horizon s’ouvrait sur des étendues très plates: aucune colline ou montagne même estompée dans le lointain, rien n’arrêtait le regard. Par moment, surgissait isolée une vaste demeure autour d’un patio où scintillaient un ou plusieurs bassins; sur un de ses côtés, les ailes d’une immense éolienne tournaient surplombant des zones de culture, zébrées de rayures vert clair et jaune, où cheminaient des ruisseaux brillants.
Il percevait la ressemblance de ces demeures et des espaces qui les entouraient et cette répétition même, lui procurait une sorte d’apaisement. La nature féconde de Lyrde, avec une végétation prolifique et de l’eau en abondance, paraissait domptée comme tous ses habitants.
Ils finirent par parvenir à leur destination : la demeure était spacieuse et isolée comme toutes celles qu’Éésis avait pu observer pendant le trajet. Slor l’entraîna et lui fit visiter les jardins, les différentes pièces : tout paraissait surdimensionné pour le taor et surtout vide de toute présence. Le lyrde conclut la visite en annonçant :
-Voilà, Satil d’O7, ma demeure et la vôtre pour l’instant.
-Vous vivez tout seul, ici ?
-Seul ? Le lyrde eut un moment d’incompréhension et commença à dire : On n’est pas….Il s’interrompit. Vous parlez de présence physique comme chez vous sur Taor, c’est cela ?
-Oui, je veux parler d’autres lyrdes.
-On doit vous perturber, mais d’ici quelques a-jours vous accéderez à des notions nouvelles par la synthèse et on sera plus compréhensible.
-Qu’est-ce que la synthèse ?
-Que signifie pour vous ce mot ?
-La réunion de plusieurs éléments en un tout.
-C’est cela, on se rejoint en harmonie et on réalise la synthèse de la planète.
-Mais…Éésis fut interrompu par le lyrde.
-Éésis de Taor, vous êtes connu pour votre esprit curieux parmi vos semblables mais vous obtiendrez cette réponse en sectièmes voulus, on ne peut pas devancer le processus. Pour l’instant voulez-vous parler de Xérys ?
Tout en répondant à Slor, le sourire ironique si connu d’Éésis sur sa planète apparut tout à coup sur son visage :
-Ces réponses ne vous seront-elles pas données également en sectièmes voulus ?
-Oui, lors de la synthèse, finit par répondre d’un air perplexe le lyrde. Vous pressentez bien. Il est vrai que Taor est réputée pour cela. Vous ne pouvez pas participer à la synthèse tout de suite. Un rassembleur et un apprentissage sont nécessaires : on vous conduira à Lyrde 1 pour rencontrer les Sages et ensuite on vous accueillera au sein de la Synthèse.
-Cet apprentissage, à quel moment l’avez-vous fait? À l’école ?
Slor parut encore pour le moins déconcerté.
- Bien avant cela…On le fait toujours...On nait dans la synthèse.
Éésis fixa son expression un peu perdue, il reprit d’un ton conciliant :
-Très bien, parlons de Xérys, aucun autre sujet ne peut mieux me convenir.
Slor l’invita à le suivre d’un geste. Dans le jardin, du côté arrondi du bassin, où aucune végétation ne flottait, la margelle en pierre polie s’interrompait en laissant place à une table basse circulaire sur un pied et à quelques marches descendantes. Sur la table, des fruits oblongs aux couleurs violette et orangée remplissaient une coupe translucide. Le lyrde s’assit sur un des bords de la margelle s’en servant comme d’un siège rudimentaire et montra l’autre à son invité. Éésis prit place, le bassin comme un miroir immobile s’ouvrait sur un ciel vert sombre et velouté où Xérys brillait comme dans un écrin. Quel meilleur endroit pour évoquer la planète blanche, pensa-t-il, hormis sa surface, bien sûr.
- Puisque vous le désirez, Slor, parlons de Xérys. Au bout du Grand Voyage, quand les huit nefs rescapées sont parvenues à ces systèmes stellaires aux planètes viables, nos ascendants décidèrent, comme cela avait été prévu au moment de la Grande Charte, de s’installer sur des planètes séparées. Malgré des conditions d’hygrométrie et d’atmosphère compatibles avec notre espèce, chacune de ces planètes avait de telles différences avec notre terre d’origine que ces nouveaux colons furent largement absorbés par leurs installations et ne s’intéressèrent pas plus que nécessaire au sort des autres nefs. Ce fut une longue période où les liaisons interplanétaires se firent rares et pendant laquelle chacune des nefs suivit sa propre évolution. C’est ainsi que se développèrent nos huit civilisations, dont celle de Xérys.
-Dévions donc sur Xérys…
-Dévions donc, reprit Éésis avec un sourire. La station orbitale d’origine avait été commanditée par la fondation du Mécénat Xérys, il s’agissait d’une extraordinaire puissance financière, c’est un fait acquis. Par contre les motivations en étaient bien moins évidentes que par exemple pour L.I.I.R.D.E avec son projet d’élimination de la violence ou même T.A.O.R. avec la constitution d’un fond de préservation mondial des connaissances. Le projet d’origine parlait de survie spatiale, d’exobiologie, de voyage spatiotemporel, de développement de soi et de réalisation mentale et les participants sélectionnés pour y participer venaient d’horizons très divers; cette station, au bord de laquelle se trouvait la fille du Mécène Xérys, possédait déjà les éléments techniques, qui permirent son adaptation en nef interstellaire autonome, avec notamment la détection et l’utilisations des trous de vers permettant un voyage bien plus rapide vers les exo planètes et c’est ce qui sauva également les sept autres stations rescapées…Je pense que la motivation réelle à l’origine de ce projet était la sauvegarde de cette fille. Mais laissons cela de côté…
Sur la planète où la nef Xérys s’implanta, la surprise fut violente. Certes il y régnait une atmosphère tout à fait compatible mais tout y était blanc, vraiment tout ! Les vaisseaux, le paysage et jusqu’à eux-mêmes. Après la nuit de l’espace, ils se retrouvaient plongés dans une mer immaculée. Pour certains, ce changement était trop fondamental et désirèrent partir. Cela se serait certainement produit si parmi ces colons, ne s’était trouvée une femme exceptionnelle qui convainquit ses compagnons de voyage de rester. Elle se nommait Laïlaïca et elle est entrée dans la légende de Xérys : son nom apparaît très souvent dans les chants. D’ailleurs, c’est un de ses descendants qui le premier fit la quête et subit la Fragmentation de l’Essence…
- Comment le savez-vous ?
-Comment …? Slor hocha la tête. Je ne sais si vous connaissez ceci, je l’ai mis dans un métalit…un ancien chant « Oh ! Laïlaïca, tu seras fière de ta demeure d’éther. Oh ! Laïlaïca, il est parti en quête solitaire. Laïlaïca, ton sang immaculé explosera de lui, tes yeux couleur des glaces de l’ancien pays connaîtront l’âme de Xérys. Laïlaïca, ton fils est digne de toi ! À travers les sables, les eaux et les monts de l’Alvant, il est parti vers Irmani comme personne avant lui ! Il ouvre la route à ses fils. Oh Laïlaïca, accompagne Éésis ! »
Slor le fixa d’un air singulier et répéta :
-Éésis ?
-Il n’y a pas de rapport. Sur Taor, nous ne conservons pas la généalogie parentale de façon à ce que les enfants se développent librement en dehors de toute influence et je ne sais pas quels sont mes ascendants. À un certain âge, les jeunes choisissent un nom qui complète ou remplace ce qu’on peut assimiler au prénom des ancêtres. Mon choix personnel montre assez l’attrait qu’a toujours représenté pour moi Xérys.
-Cette planète attire et ses chants appellent…
-Savez-vous si vous avez une relation avec Xérys, demanda curieusement Éésis.
- Oui, de nombreux ascendants en sont venus voilà 180 a-t-v. Slor est un lyrde descendant de troisième génération.
-Cela correspond au début du dernier mouvement de dépopulation. Pour quelle raison ont-ils choisi de partir ?
-On dit qu’il s’agissait de vents de lumière. On n’a pas d’autre précision, il existe les déperditions de la synthèse…
-Les vents de lumière : c’est bien cela. Rien actuellement, à ce qu’il paraît, ne ressemble de près ou de loin à ce phénomène sur Xérys. Les derniers écrits des six archives planétaires en faisaient mention, ainsi que des troubles oculaires chez les Xéryens qui émigraient. Sauriez-vous quelque chose du même ordre ?
-On va vous le dire tout de suite, voulez-vous attendre un peu ? Mangez quelques fruits…lui répondit Slor en pressant sa mains sur son bras. Le lyrde se leva et s’éloigna en longeant le bassin.
Éésis choisit un des fruits et mordit dedans. Sa chair était juteuse et fondante, le goût légèrement épicé et tout de suite, il ressentit un sentiment de satiété. Il se retourna vers le jardin où les fleurs se détachaient dans la brume vert clair et répandaient une fragrance apaisante. Le bassin immobile en renvoyait un double silencieux. Éésis se sentait bien et l’appréhension qui l’avait étreint au moment de quitter Taor s’effaçait. Il l’avait déjà quittée pour son voyage d’étude et il n’avait pas eu cette impression ; elle n’avait donc rien à voir avec le syndrome de la grande bleue, vestige de l’ancestrale destruction qui avait marqué les esprits des rescapés et des générations suivantes, et qui étreignait parfois les descendants quand ils quittaient désormais leur planète d’adoption.
Non, il savait inconsciemment qu’il s’agissait de toute autre chose.
Il respira profondément et il eut l’impression d’être submergé par un instant oublié de son enfance. Quittant des yeux le bassin, il leva les yeux. Il s’était rapproché de Xérys la blanche en venant sur lyrde, elle brillait là-bas éclairée par son soleil, blanche argentée sur le ciel vert jade de Lyrde. En écho à cette contemplation, résonnèrent au fond de son âme des paroles et des questions :
« Oh Xérys, ma blanche mère, si blanche planète sans couleur, si mystérieusement ensorcelante sans aucune variation de couleur, jamais, jamais sauf disait-on dans Irmani la splendide.
Xérys, pourquoi es-tu devenue cette planète morte, civilisation disparue héritière de la planète mère après la grande catastrophe ? Peuple de Xérys, pourquoi avoir déserté et arrêté ta quête ? Xérys, oh ma blanche mère, qu’est-ce que le Voyage vers les Sept Soleils ?
Xérys, où sont tes fils ? »
À cet instant, Slor revint s’asseoir en face de lui. Il se pencha et bascula des boutons sur le pied de la table :
-C’est exact, les ascendants de Slor à leur arrivée sur Lyrde présentaient des hallucinations colorées mais elles ont totalement disparu par la suite sans aucun traitement.
-Oui, il s’est passé la même chose sur les autres planètes.
Des bulles apparurent à la surface du bassin au niveau des marches, elles se formaient plus ou moins grandes comme le poing et l’une après l’autre elles s’élevèrent flottant quelques temps autour d’eux avant d’éclater sans bruit. Des odeurs délicates et différentes, plus ou moins soutenues se répandirent délicatement se mélangeant en harmonieuses phrases odoriférantes.
-Cela ne vous dérange pas, j’ai ouvert une des partitions à parfum. Celle-ci est relaxante mais si vous en désirez une plus colorée ?
- Non, c’est très agréable ainsi. Cela n’existe pas sur ma planète, ni sur les autres d’ailleurs, répondit Éésis tout en suivant quelque temps du regard, le ballet des bulles iridescentes qui évoluaient lentement autour d’eux. Bien, reprenons :
La civilisation de Xérys depuis Laïlaïca dura près de 2000 a-t-v. Pendant cette période fut enseigné aux enfants de Xérys, le chemin de la Quête, la première démarche vers l’Alvant et la fragmentation de l’Essence. Comme dans une formation initiatique chaque individu devait entreprendre le « Voyage vers les Sept Soleils » et y trouver « la connaissance de sa Puissance ».
Ce que couvrait exactement le terme de Fragmentation, je ne le sais toujours pas ; il n’y en a aucune trace dans les archives des six autres planètes. Quant au nom de « voyage vers les Sept soleils », il est resté énigmatique puisque Xérys fait partie d’un système à un soleil et qu’il est manifeste que les Xéryens ne quittaient pas le sol de leur planète pour l’accomplir.
Et puis, il y a 250 a-t-v de cela, commença ce processus pathologique de la vision des Xéryens. Ils abandonnèrent le voyage initiatique, et à cause de ces vents de lumière, ils se mirent à fuir leur planète par vagues successives entraînant au final une dépopulation dramatique. D’après les histoplanétologues, il y a 150 a-t-v, seul un pour cent des Xéryens y restant avait effectué le voyage. Aujourd’hui, ce pourcentage est semble-t-il de zéro…Je dois me rendre compte de ce que recèlent les archives de Lyrde mais en fait, la réponse se trouve là-bas à Irmani, termina Éésis en levant de nouveau le regard et en montrant d’un geste doux le rayonnement de la blanche planète.
- On a su par les rapports de l’intergalactica, qu’une immense structure s’est construite sur Xérys, une sorte de gigantesque complexe de « repos » près de Cahina qui attire beaucoup des populations des planètes de la Charte, par ses distractions et sa localisation sur la planète blanche. Pourtant, la ville de Cahina n’existait plus…
-Il restait quelques bâtiments du planétodrôme, d’où sont parties les dernières vagues d’émigration. Ils auraient préféré l’implanter à Irmani, en référence aux chants, mais ils ne l’ont pas retrouvée.
-Elle a pourtant la réputation d’être indestructible…
-Oui, d’après les anciennes croyances. Mais où ? La planète est d’une telle blancheur que les survols de moyenne et haute altitude ne permettent de ne rien discerner même avec les filtres les plus sophistiqués. Seul un quadrillage à très basse altitude aurait peut-être pu donner des résultats mais ils n’avaient pas le temps de circonscrire toute la surface planétaire. Il n’existe comme seules indications dans les chants que le désert de l’Alvant, les monts Tarkys et autres dénominations sans aucune mention de localisation géographique. Ils ignoraient où trouver Irmani la splendide, alors ils ont créé de toute pièce : Cahina la magnifique.
Slor eut comme une sorte de sourire bienveillant et prit la main d’Éésis, celui-ci se sentit envahi de nouveau par la même impression d’apaisement. Une mer calme monta en lui, ineffablement sereine, mais ancrée dans une certitude de quête. Peu à peu, la sensation s’estompa. Quelques oiseaux papillons aux ailes diaphanes passèrent entre les bulles, où se démultipliait le soleil couchant de Lyrde. Le ciel devenait d’un sombre vert bleu. Les fleurs avec l’obscurité grandissante changeaient de couleurs et éteignaient doucement leurs reflets flamboyants. Leurs odeurs mêlées à la dernière partition de parfum emplissaient la tiédeur humide autour du bassin ; ses bouillonnements avaient peu à peu disparu avec les dernières notes parfumées, et seules quelques vagues amollies perturbaient encore sa surface miroir. Tout au loin, un bruit d’eau argentin, seul, fendait le silence.
-C’est une belle planète, murmura Éésis, si sereine…Je vous remercie de votre accueil, Slor…
-C’est un enrichissement de la synthèse et la paix pour celui qui y participe.
Les lyres distillaient dans la brise du soir, leur hymne d’amour à la clarté qui s’achevait.
Le lendemain matin, Slor s’attardait les yeux fermés. La rencontre d’Éésis conjuguée à l’évocation de la blanche planète le troublait ; depuis plusieurs sectièmes, il équalisait son être en se perdant dans la synthèse. Il se sentit peu à peu s’harmoniser avec la planète et devenir sphère lui-même sans arête, noyé dans un tout sans limite finie. On sentait les nouvelles de la planète affleurer et on plongeait dans une mer aux multiples vagues de connaissance. Après de longs sectièmes, le lyrde se replia vers les annonces officielles de la planète qui concernaient l’arrivée du taor. Il devait emmener Éésis à Lyrde 1 ; là, il ferait la rencontre des Sages qui remettaient les rassembleurs aux nouveaux venus.
Slor inspira une fois, deux fois tranquillement comme on l’avait toujours fait en s’immergeant dans l’équalisation planétaire et ouvrit lentement les yeux. Il aperçut Éésis dans le jardin qui l’observait d’un air intrigué.
La soirée s’était finie rapidement, Éésis fatigué s’était retiré dans la pièce de repos que le lyrde lui avait montré en arrivant. Il avait enfilé une tunique qui était posée là à sa disposition et s’était couché avec d’infinies précautions sur une plage lumineuse allongée qui, aux dires de son hôte, fonctionnait comme les sièges de la navette. Il avait alors fermé les yeux pour atténuer la sensation de chute que lui provoquait sa suspension dans le vide. Le principe devait reposer sur des champs reflux-Adn, magnétiques ou alors…De l’autre côté du patio, le lyrde écoutait l’un des métalits qu’il avait enregistré et ses propres paroles assourdies l’entraînèrent sur le chemin de ses rêves. Pendant que son esprit s’assoupissait, la luminosité de la plage s’atténua jusqu’à s’éteindre totalement et des stores masquèrent sans bruit les ouvertures.
Après un repos reconstituant, la lumière était réapparue. Le taor s’était levé, était passé dans le couloir elliptique où des brumisations et un souffle tiède se succédaient et en en sortant, il avait enfilé une tunique plutôt ample de couleur ocre, tirée d’une pile de vêtements trouvée là.
C’est ainsi qu’il s’était retrouvé immobile à observer Slor pendant son équalisation. Les lyres résonnaient encore comme un appel sans fin, dispersé autour de la planète. Peu à peu, la musique des lyres s’amenuisa jusqu’au silence et il ne subsista plus que le souffle de la brise en une douce caresse et dans l’âme, l’effleurement de son écho.
Éésis salua le lyrde avec un sourire et s’approcha.
-Avez-vous pris un bon repos ? s’enquit le lyrde en lui rendant son salut.
-Oui, et j’ai mangé de ces petits fruits violets…
-Les pépias, on les a élaborés pour répondre au mieux aux besoins de l’organisme : protéine, vitamines et eau…
-La texture en est surprenante, mais je dois reconnaître qu’ils sont agréables et rafraîchissants.
Slor se leva, il portait le même type de tunique qu’Éésis.
-Si vous êtes prêt… on nous attend, juste après la deuxième brise, à Lyrde1, il faut nous en aller.
-Lyrde1 ? La capitale ?
-Plus précisément, le centre vital de la synthèse.
-Pour l’apprentissage ?
Le lyrde dévisagea Éésis :
-C’est plaisir de parler avec vous, oui, donc pour l’apprentissage, mais aussi pour rencontrer le conseil des dix Sages.
-Les dix Sages correspondent ils à dix régions ou cela n’a-t-il pas de rapport ?
-Vous pressentez bien. C’est cela à chaque Sage correspond un satil suivi de la première lettre de son nom. Ensuite chaque habitation est suivie d’un chiffre la localisant dans le satil.
-D’où, satil d’O7 pour celle-ci ?
-C’est exact.
-Entre ces satils, il n’existe pas de concurrence ? Est-ce que les sages interfèrent à ce niveau ?
Slor resta abasourdi quelques sectièmes, le taor se rendait compte que toutes ses questions perturbaient le lyrde, mais celui-ci répondit :
-Vous aimez étudier ce que sont devenus les descendants, n’est-ce-pas ? Puis il secoua la tête, les mèches-plumes de sa chevelure s’envolèrent en une multitude de reflets verts et d’un air réfléchi, il lui dit lentement: la réponse à vos questions est non. La raison en est individuelle, il s’agit de la synthèse.
-Cela ressemble à un non-sens…
-Vous comprendrez mieux après. Allons-y. En passant, vous verrez les Lyres de vent.
Éésis emporté dans ses raisonnements ne put s’empêcher de dire de nouveau d’un air absorbé :
-La musique des Lyres est en rapport avec la synthèse…les ondes…
Le lyrde s’arrêta net et se tourna vers lui pour scruter son visage.
-En partie en effet. Sont-ils tous comme vous sur Taor ? Vous vous rapprochez intuitivement du fonctionnement de la synthèse. Bientôt vous équaliserez aussi bien qu’un lyrde.
-Équaliser ?
-Faire la synthèse.
D’un ton songeur, Éésis finit par dire :
-C’est un mot qui respire la paix…
-La synthèse est la paix.
-Dans ce cas, pourquoi ne pas la répandre sur les autres planètes ?
Slor resta un moment silencieux, puis avec une infinie patience, tout en entraînant Éésis vers la sortie de sa demeure, il finit par répondre.
-La synthèse est la sagesse de notre peuple qui décide. Mais on n’y est pas parvenu facilement, ni rapidement. Quand vous aurez équalisé et participé à la synthèse, vous en comprendrez les implications et alors d’après vos connaissances sur les autres descendants, vous aurez la réponse. Venez, on nous attend.
Éésis suivit Slor. La coupelle qui les attendait était beaucoup plus vaste que celle de l’a-jour précédent, elle semblait avoir un caractère moins privé. Après les salutations au lyrde installé aux commandes, ils s’installèrent sur des sièges à répulsion sur lesquels ils auraient pu s’allonger. Éésis s’abandonna sur son siège et s’absorba dans la contemplation du paysage qui défilait rapidement. Les demeures se succédèrent toujours environnées de ces étendues fertiles aux couleurs vives puis de grandes étendues d’eau, lacs miroirs de Lyrde que pas un frémissement ne semblait troubler.
Cette étendue immobile est à l’image de cette planète, à l’image des lyrdes eux-mêmes : miroirs sans ombre ni ride au reflet vert tendre du ciel. Pourtant, même si rien n’apparaît en surface, il peut sans doute exister des mouvements dans ses profondeurs…
Éésis sut qu’il préssentait parfaitement. Il fixait le paysage sans vraiment le voir, il se sentait empli du malaise qu’il avait ressenti en partant de Taor. Cette situation fausse ne lui plaisait guère. Les paroles du Conseiller Étidanoé résonnaient désagréablement à son oreille et faisaient monter la tension en lui comme une marée. Ces deux solutions étaient équivalentes, le secret de la paix, ce secret, cette synthèse dévoilée conduirait à une destruction irrémédiable… comme jadis ce fut le cas pour la planète bleue.
La coupelle ralentit progressivement son allure et Éésis vit défiler ce qui ressemblait à une ville. Une accumulation de pics, de sphères et d’arcades où le métal d’Irid aux nuances violettes et la pierre transparente d’eau aux teintes vertes se mélangeaient et répercutaient dans des reflets labyrinthiques les successions de ponts, de quais et de canaux brillants. La nouveauté le distrayait de ses pensées. Il se sentait plus serein, quand il réalisa l’imperceptible contact des deux doigts de Slor qui effleurait son épaule. Il tourna son regard vers lui : les yeux fermés, l’être semblait en profonde concentration mais peu de temps après il les ouvrit.
Éésis eut l’attention attirée en arrière de Slor par une place où des jets, supposa-t-il d’eau,se modifiaient en une sculpture vivante.
-C’est magnifique !, eut-il à peine le temps de s’exclamer. La coupelle était déjà loin.
-Ah oui ! C’est une sculpture d’eaux vives. Il en existe plusieurs. La plus grande se trouve à Lyrde1 où nous allons. Vous la verrez de bien plus près.
-Qui créent ces fontaines ?
-Lyrde.
-Bien sûr. Mais qui sur Lyrde ? Le regard de Slor le transperça et en l’espace d’un éclair la réponse vint sur les lèvres du préssenteur, presque involontairement. La synthèse…Non, attendez…La Synthèse… est en relation avec les vibrations sonores des lyres qui agissent comme un diapason de la planète, et la synthèse reçoit et brasse en un grand tout, vos pensées, vos émotions…
-oui mais ensuite elle redonne aux lyrdes ce qui leur est nécessaire en connaissance, sérénité, mémoire ou projet de recherche…enfin tout.
-Et chaque lyrde reçoit la même part ?
-Oui au niveau sérénité, Lyrde tout entière est accordée ; par contre on peut puiser dans la synthèse ce qui est nécessaire pour réaliser ce que l’on veut en faire.
Le taor resta songeur un moment, puis demanda :
- Dans ce cas d’où vient ce projet ? De la synthèse ? D’un lyrde?
Slor scruta le visage d’Éésis, il voyait ses traits se creuser, une sorte de pli barrer le lisse de son front. Derrière celui-ci, il voyait presque les pensées se bousculer. C’était la première fois que le lyrde prenait conscience que sa planète pouvait troubler des étrangers. Cela engendra une variation qui s’atténua rapidement en équalisant et en apportant une explication. Il finit par répondre :
-La synthèse est une mer mais des courants froids et chauds la parcourent et se mêlent intimement en un tout homogène, par moment elle s’écoule dans des directions différentes et ces ruisseaux comme dans les plaines de culture suivent un chemin qui leur sont propres laissant ainsi une empreinte mais ils retournent ensuite vers elle. Ce va et vient est incessant sans délimitation précise.
-Tout ce qui se créée est donc une œuvre collective. Il n’existe aucune création individuelle.
-Si, mais non revendiquée, car reversée dans le creuset commun. Il en résulte une égalité parfaite d’intelligence, de connaissance et de sérénité puisque l’on puise tous dans la même mer.
-Vous êtes une seule entité : c’est pour cela que règne cette paix.
-Avec des individualités pourtant, ce qui permet le mécanisme de création. Mais on se réfère à la synthèse pour équaliser, laisser les connaissances enrichir le fond commun et niveler les déviations négatives par les positives. Il s’agit d’une grande régulation au niveau de la planète toute entière.
Éésis resta silencieux. Il prenait toute la mesure de ce qu’il venait de comprendre. Le désir de parler avec franchise et la peur de perdre toute chance d’accéder au mécanisme de la synthèse, se disputaient en lui. Il savait son regard troublé, il se décida brusquement à être franc :
-La paix à ce prix !
-Cela vous choque ? C’est normal. Vous venez de Taor et même si vous connaissez les autres planètes, toutes sont basées sur un pouvoir central qui a autorité. Ici, il n’y en a pas. On donne et on reçoit la connaissance alliée à la sérénité de la synthèse, et l’accès aux connaissances, à l’essence même de la synthèse se fait d’autant plus que l’on accepte de s’y immerger sans retenue. C’est pour cela que vous comprendrez réellement ce dont il s’agit au moment où vous aurez intégré la synthèse. Toutes nos explications sont imparfaites.
-Mais alors quel est le rôle des dix sages ?
-Les sages n’ont pas un rôle d’autorité ou de décision; ce sont plutôt des relais pour chaque zone d’équalisation des satils. Ils interviennent pour équilibrer la mer de la synthèse, quand elle n’est pas très plane. Mais en général les variations finales sont assez minimes.
-Vous m’avez dit que vous naissiez dans la synthèse et vous trouvez que c’est choisir librement que d’être né avec ? Avez-vous seulement essayé de vous en passer ?
Le lyrde sembla réfléchir un long moment, son regard s’absenta puis demanda :
-Pourquoi Éésis ? Pourquoi essayer ? On est équalisé. On est en paix, on étudie et on réalise des créations comme les sculptures d’eaux vives ou les claviers à parfums. Pourquoi s’en détourner si la synthèse donne satisfaction.
-Pour pouvoir dire « je » : je me souviens, je sais, j’ai fait…
-On a l’impression, reprit Slor, en secouant la tête, que cela doit être bien triste, bien pauvre de n’avoir que ses souvenirs, ses connaissances. Notre existence est douce et sans à-coup. Il y a tellement à faire, à apprendre ou à admirer et le temps d’une seule vie et mémoire est si court. La synthèse est une des plus belles créations que les ascendants de Lyrde ont transmise et on ne tient pas à l’abandonner quoique Xérys puisse offrir.
-Mais comment pouvez-vous participer ?
-Le rassembleur…Slor souleva ses cheveux en arrière des oreilles et en plia légèrement le pavillon. Éésis y aperçut un disque brillant presque incrusté dans la surface du crâne et un fil qui rejoignait certainement son symétrique de l’autre côté de la tête. Mais nous n’allons pas tarder à arriver, voici la cour des Nétrilles.
La coupelle de navigation passa sous des arbres gigantesques aux troncs translucides nimbés de reflets rose-orangée. Sur leur écorce, cheminaient de fins filigranes brillants qui montaient vers les branches où des feuilles de couleur rose-argentée, en forme de pique, s’agitaient avec un bruit cristallin. Enfin, Éésis le supposa car la navette était isolée des bruits extérieurs. Sous cette immense frondaison une dizaine de chapiteaux blancs s’alignaient et entre eux se mouvaient de nombreuses silhouettes. C’était la première fois qu’Éésis voyait autant de lyrdes rassemblés et tous ces traits flous se confondaient. Il se demanda s’il aurait pu reconnaître Slor au milieu des autres lyrdes. Ils étaient tous si semblables. Une image traversa son esprit, une image venue d’une banque de données de Taor :
« C’est un ancien plat. Le sécréteur peut en produire de petites quantités : cela s’appelait lentilles et accompagnait …les paroles se perdirent dans les labyrinthes de sa mémoire et il ne vit plus qu’une main fine et ridée qui faisait rapidement aller les petites pastilles rondes vers le bord de l’assiette : toutes de même taille, de même volume… »
Le regard d’Éésis s’éveilla sur la foule qui venait et allait comme une mer aux vagues chatoyantes dans la cour des Nétrilles. Les ombres légères des arbres ondulaient faisant varier des reflets verts et roses sur des silhouettes aux tuniques de divers ocres. Comparer les lyrdes à un plat de lentilles, heureusement qu’il ne participait pas à la synthèse, cette comparaison ne serait peut-être pas bien reçue ! Un sourire s’épanouit sur son visage.
-On est aise que votre âme se détende, Éésis vous me paraissiez très soucieux auparavant.
Éésis se retourna vers Slor et vit deux doigts négligemment posés près de son épaule. Il ne pouvait pas avoir vu son visage, ni son sourire. Alors ? La curiosité se réveilla en lui.
-Comment pouvez-vous le savoir ? Je ne suis pas dans la synthèse…
-Mais votre aura est lisible. On ne sait pas quelles sont vos pensées mais on perçoit votre synthèse personnelle.
-Vous pouvez influencer et modifier mon aura simplement en faisant cela ? Éésis fit rapprocher la main de Slor de son épaule. La seule réponse fut un hochement lent de la tête et il sentit comme une brise légère en lui. Vous l’avez déjà fait, dans le jardin, n’est-ce-pas ?
-C’est exact et comme il y a quelques instants, quand vous avez appréhendé la portée de la synthèse. On fait cela pour vous être agréable et on ne veut pas…
-Non, interrompit Éésis, ne vous inquiétez pas. Il se tut un moment, puis demanda d’un air songeur : Comment cela se passe-t-il d’ordinaire pour les nouveaux venus, n’ont-ils pas des réticences lors de l’apprentissage ?
Le lyrde le regarda d’un air étonné.
-Que voulez-vous dire, vous… ?
Éésis hésita. Sur le visage du lyrde une ombre fantomatique passa donnant l’impression à Éésis que le lyrde était touché par ce manque de confiance.
-Pardonnez-moi Slor, mais j’ai la sensation en vous parlant de parler à Lyrde toute entière et cela m’est extrêmement désagréable.
Il lui tendit la main en souriant car il sentait que ce qu’il venait de dire avait fait naître des vagues sous le miroir liquide du lyrde. Slor posa sa main à plat sur celle d’Éésis en le regardant d’un air curieux. Celui-ci reprit plus gravement :
-Je vous donne mon amitié et lui souhaite longue vie.
La coupelle finissait de parcourir la cour des Nétrilles. Devant eux s’élevait un dôme immense d’où s’élançaient de multiples arcades et des escaliers suspendus pour rejoindre une plate-forme monumentale sur laquelle la plus grande Lyre à quatre côtés de la planète se dressait majestueuse et imposante. Ils s’arrêtèrent au pied d’un gigantesque escalier miroitant.
-Vous êtes au terme, Éésis. On vous attend dans la salle de la stabilité, annonça leur conducteur en faisant un signe vers la zone de sortie.
Après une salutation, Slor descendit et Éésis le suivit. Au sommet de l’escalier, ils parvinrent à une grande salle à ciel ouvert, entourée d’arcades sous lesquelles des parterres de fleurs alternaient avec des jets d’eau. Au milieu de cette place se trouvait la fontaine dont avait parlé Slor. D’innombrables jaillissements d’eau aux intensités variables se succédaient et donnaient vie ainsi à différentes créatures. Éésis connaissait leurs silhouettes, il en avait vues dans les banques de données.
Plusieurs formes paraissaient étranges, une sorte d’oiseau avec une queue qui s’ouvrait et se refermait, une autre avec quatre pattes et une grande corne sur le front et bien d’autres encore plus étranges au cou ou aux oreilles démesurés. Il se demandait si vraiment elles avaient existé ou si elles étaient nées de l’imagination des anciens. Le jour du grand désastre, quelques espèces vivaient dans les stations orbitales, toutes de petites tailles et pour différentes raisons : des apports alimentaires, des études en cours ou des recherches sur certains sens spécifiques. Elles furent les seules à être préserver du désastre, les échantillons cellulaires de la banque cryogénique des espèces terrestres de T.A.O.R ayant été détruits pendant le périple stellaire. Certaines ne se reproduisirent que faiblement, au contraire de l’ornynx, une espèce rare sur la planète mère dont plusieurs couples étaient justement étudiés au moment du désastre.
Éésis finit par s’arracher à la contemplation de la fontaine. Il suivit Slor qui se dirigeait vers le dôme en métal d’Irid où se reflétaient au-delà des arcades, le ciel vert et les brumes rosées des Nétrilles comme dans un immense miroir. Pendant qu’ils cheminaient en silence, ils étaient beaucoup plus loin qu’il ne l’avait cru, la deuxième brise de Lyrde, celle du haut soleil, se mit à souffler. Quelques instants après, la vibration cristalline de la grande Lyre se mit à résonner. En écho, retentit le bruissement des feuilles des arbres des Nétrilles. L’ensemble était d’une beauté extatique. Un groupe d’oiseaux papillons s’envola des parterres de fleurs et ils s’éparpillèrent de toutes parts avec des couleurs changeantes.
Éésis ressentit comme le passage d’un vent de paix intense suivi d’un bonheur ineffable. Il regarda Slor : le lyrde avait fermé les yeux quelques instants mais son visage n’exprimait rien d’autre que sa sérénité habituelle. Éésis marchait l’air absorbé par la vision d’une scène qui germait dans son esprit, venue il ne savait d’où :
Un visage… un visage de femme. Il savait au fond de lui qu’il l’avait connue sur Taor, pourtant il ignorait tout d’elle …Elle lui semblait étrangement proche… La femme se penchait sur lui et de sa main relevait doucement les cheveux de son front en prononçant son nom, comme un souffle léger…
Peu à peu les notes s’évanouirent jusqu’à leurs échos et les bruits redevinrent courants, émaillés de bruissements d’eau.
Slor se tourna vers Éésis :
-Avez-vous été concerné ? Éésis acquiesça. Slor le regarda longuement. Vous êtes très réceptif, vous devez être très prudent pour participer à la synthèse. Il est rare que sans le rassembleur, un nouvel arrivant y participe même partiellement. Venez…
Pour la troisième fois, Éésis avait eu des éclairs comme s’il pressentait ; il avait éprouvé cette même sensation qu’il connaissait si bien. Pourtant il lui était révélé des évènements qui lui étaient arrivés et qui cachés au loin dans un profond labyrinthe de son âme, émergeaient comme si la synthèse avait servi d’initiateur vers le passé.
Ils pénétrèrent dans le dôme par une arche obstruée par un rideau d'eau qui s'arrêta à leur arrivée et se referma derrière eux. Cette porte d’eau était constituée de jets d'eau qui partaient du sol et montaient droit vers le haut de l'arcade où le liquide semblait aspiré. Ils montèrent encore des escaliers et arrivèrent dans une grande salle circulaire, située au sommet du dôme.
Éésis découvrit dans toute sa splendeur, la particularité du métal d’Irid: le haut du dôme était épanoui en une gigantesque corolle et l'on découvrait l’extérieur à travers ses pétales. La cité de Lyrde1 s’étendait tout autour dans une explosion de reflets de lumière, d'arcades, de constructions étranges et là-bas la cour des Nétrilles scintillait de reflets vert et rose, nimbée d’une transparence mordorée et pailletée.
Éésis subjugué par tant de beauté mit un temps avant de découvrir les dix Sages installés en trois quart de cercle au fond de la salle, sur des chaises aux hauts dossiers en une matière qui ressemblait à du verre. Ils saluèrent Éésis d'un signe de salutation. Les Sages ne présentaient aucune distinction, ils avaient la même apparence que Slor, tant au niveau physique, la même silhouette élancée et la chevelure taillée en sortes de plumes, qu’au niveau vestimentaire avec les mêmes tuniques ocres. Cependant en les voyant côte à côte, Éésis percevait d’infimes différences.
L’un d’entre eux, le plus âgé lui semblait-il, leur montra les sièges à reflux où ils s'installèrent confortablement et il prit alors la parole :
-On me nomme Oli. On vous souhaite la bienvenue parmi nous, Éésis. Votre valeur est connue. Votre qualité de préssenteur et vos nombreuses connaissances vous ont précédé, tout comme votre désir de ce qui touche à Xérys. Les archives de Lyrde vous sont grandes ouvertes, le professeur Xand s’occupe de cette partie. On vous remet un rassembleur qui permet de participer à la synthèse et de fusionner avec Lyrde. Ces dix prochains a-jours, Slor vous aidera de ses conseils, pendant l’apprentissage qui est nécessaire. Un autre lyrde arriva dans la salle de stabilité en portant un coffret en métal travaillé, il le remit à Éésis et sortit après un petit salut de la tête. Oli continua d’un air grave :
- On doit avoir votre promesse de garder le rassembleur pendant tout ce temps et de participer sérieusement à l'apprentissage. Le dites-vous exact?
Le taor restait silencieux. Slor le regarda et redemanda:
- Le promettez-vous?
Éésis lutta contre son envie irrépressible de fuite et répondit:
-Je le dis exact.
-Bien, fit le Sage Oli. Voulez-vous prendre en charge votre rassembleur?
Éésis sentit l'appréhension monter en lui, Slor lui mit la main sur le bras.
-Merci Slor, dit-il en ouvrant le coffret en métal d'Irid, qui devint transparent avec des reflets mordorés et des irisations violettes. En son centre, le rassembleur également en métal d'Irid n'était visible que par son léger miroitement. Éésis tendit sa main, ses doigts effleurèrent les disques puis il le souleva et le mit d'un air décidé. D'abord il ne sentit rien de particulier, puis peu à peu, il sentit comme une brise légère, comme une eau qui affleurait ses pensées et polissait ses réactions. Il ferma les yeux livrant sa tension due à cette expérience: il la sentit s'effriter, perdre toute forme sous le fluide de la synthèse.
Conjointement, une image pressentie quelque part au fond de son esprit monta en lui et il la laissa de son plein gré pénétrer la synthèse.
C'était une image de son enfance, encore sans bruit, un ancien château de sable sur une plage près du vent liquide qui tour à tour allait et venait. Peu à peu, le château perdait de ses arcades, peu à peu il diminuait, perdait ses arêtes, devenait tas informe après les flux et reflux jusqu'à ce qu'il ne reste plus de trace sans vestige, sans souvenir…
Il rouvrit les yeux, Slor et les Sages le regardaient. Oli fit un salut de la tête:
-C'est un bon début. Votre semaine vous sera très profitable.
Les autres sages approuvèrent de la tête et tous, ils conclurent d’une seule voix en se levant :
-Bonjour à vos soleils, Éésis et Slor.
Celui-ci se leva également, imité par le taor, en répondant :
-Bonjour à vos lumières, sages, et après un signe de tête, il entraîna Éésis, qui tenait le coffret sous le bras, en dehors de la salle de la stabilité. Une fois passée la porte d’eau, il lui annonça :
-On va vous montrer votre résidence pour ces prochains a-jours.
-Vous demeurez à Lyrde1 ou vous rentrez à Satil d’O7 ?
-Ma mission est de vous aider de vive voix et d’étudier Xérys, la fragmentation avec vous. Quand votre utilisation de la synthèse sera correcte, ce sera différent.
-J’en suis heureux, dit Éésis avec un sourire.
-Ce prochain a-jour, on vous emmènera à la salle d’apprentissage et vous rencontrerez aux archives le professeur Xand en charge de la zone qui vous intéresse.
Éésis eut un regard curieux :
-Professeur ?
-Certaines fonctions nécessaires à notre société engendrent des titres, comme par exemple professeur pour ceux qui s’occupent des archives, des métalits ou intendant dans le regroupement des aliments ; mais ces appellations n’ont aucune signification de pouvoir ou d’autorité. On peut les considérer, finit d’un air songeur le lyrde comme des repères dans la mer de la synthèse.
Ils traversèrent la cour des Nétrilles : les lyrdes qu’il croisait, sans réaction vis à vis de son compagnon, saluaient Éésis comme s’ils le découvraient, celui-ci pensa que sa présence devait avoir émergé de la mer de la synthèse. Slor, après un geste l’invitant à l’attendre, pénétra sous un des chapiteaux blancs où de nombreux paniers et plats creux regorgeaient de produits qu’Éésis n’avait jamais vus.
Éésis, resté dehors, regardait le faîte des arbres: les frondaisons s’élevaient très hautes et les branches peu épaisses aux ramifications longilignes s’élançaient en formant une arche naturelle aux miroitements papillotants. Se découpant sur le vert du ciel lyrdien, à leurs extrémités pendaient des bouquets de rameaux à neuf petites feuilles allongées et des paquets de graines en forme de plume qui au moindre souffle, se balançaient doucement comme des ailes brillantes avec un son argentin. Alors, la lumière vacillait par endroits et donnait par transparence des taches claires voltigeant comme autant d’oiseaux papillons. Il se sentait noyé dans cette mer de feuilles.
Slor ressortit avec sur un plateau plusieurs récipients aux couleurs vives, dont l’un avec des pépias, il lui toucha le bras pour l’inviter à le suivre, tout en expliquant qu’au cas où il se perdrait, il lui suffirait de faire appel alors à la synthèse, on l’aiderait à retrouver son chemin.
Ils passèrent à travers de magnifiques jardins, où des jets d’eau alternaient avec des bassins immobiles, pour rejoindre par un dédale d’escaliers sur des arcades suspendues, un de ces édifices dont les façades réverbéraient en multiples reflets verts aux irisations violettes, la ville de Lyrde 1. Ils entrèrent au niveau de sa mi-hauteur et parvinrent jusqu’à une porte d’eau située au bout d’une passerelle courant le long de la paroi.
Éésis entra à l’invitation de Slor.
Les lieux étaient immenses et occupaient toute la surface de l’étage. Les pièces avaient des parois en métal d’Irid qui donnait aux murs extérieurs cette transparence argentée, de légers stores masquaient la luminosité trop importante sur le côté éclairé de plein front. Tout était dans les couleurs rose-argent très douces. Dans la chambre, sur le sol de très nombreux points de reflux montraient un lit plus spacieux que celui du satil d’O7 et sur le côté le plus long, un bassin avec de nombreuses plantes et pierres laissait monter le murmure de l’eau qui s’écoule. Un panneau s’ouvrait sur une galerie extérieure qui cheminait tout le tour de l’édifice, en proposant ainsi toujours un espace où se distillait une ombre bienfaisante, à l’abri du zénith.
Lyrde 1 s’étendait à leurs pieds et là-bas le dôme et la lyre aux quatre côtés se nimbaient d’une brume claire.
-C’est magnifique !, s’exclama d’un ton admiratif Éésis.
-Vous le trouvez superbe parce que vous n’y êtes pas habitué. Toutes les villes de Lyrde sont construites en métal d’Irid.
-Mais c’est très rare…
-Chez nous, il est très facile à obtenir.
-Pourquoi ne l’exportez-vous pas ? Cela serait d’un bon rapport.
-Quelle utilité ? Le métal d’Irid est très beau, nos yeux sont habitués à sa beauté et nous ne saurions nous en passer. Votre coffret est fait de cette matière comme les rassembleurs.
Éésis remarqua avec un air étrange que Slor lui avait déjà vu :
-C’est pour cela que les fauteuils des Sages sont en verre, les seuls à ne pas être à répulsion …Quand les Sages stabilisent leurs secteurs, ils sont toujours assis sur ces sièges?
-Oui, la tradition.
-Ce n’est pas pour la tradition, insista Éésis en secouant la tête, non…C’est plus qu’important, c’est indispensable. Slor, savez-vous comment se réalise scientifiquement la synthèse ?
-Il faut fouiller la synthèse pour le savoir, mais on vous l’a dit : il existe des niveaux dans celle-ci, vous ne pouvez pas prendre plus que vous ne donnez. Éésis, vous paraissez plus intéressé par le mécanisme de la synthèse que par Xérys ?
-Non, ne croyez pas cela !
Ces mots étaient partis tellement rapidement qu’Éésis en fut lui-même surpris.
Dans le fond de son être, était-il vraiment venu pour Xérys ? Ces mots sonnaient tellement juste ! Il répéta :
-Ne croyez pas cela !, En réalité ce que je vois ici me surprend tellement ! J’ai étudié la plupart des descendants de la Charte et pourtant, je ne connais rien de votre planète. C’est vrai, elle possède l’attrait de la nouveauté…mais Xérys me vient de bien plus loin. La synthèse m’intéresse, pique ma curiosité mais la fragmentation me concerne, sans toutefois pouvoir en justifier la raison.
-On ne vous accusait pas. Éésis, au premier contact, la synthèse semble pour vous tellement aride…
Éésis repensa à cette image pressentie à la suite de la prise en charge du rassembleur, il l’analysa et se dit : c’est vrai, cette image est coupée de tout espoir paisible, uniforme à perte de vie, désespérante de platitude…
-C’est le début, Slor. J’ai une certaine appréhension, je dois bien le reconnaître.
-Ce n’est que par votre volonté que vous laissez agir la synthèse. Elle ne prendra rien que vous ne vouliez lui confier. Elle ne le peut pas.
Leurs regards se perdirent l’un dans l’autre quelques instants et il fut clair pour Éésis que Slor avait compris la vérité sur cette dernière image et sa suspicion à l’égard de l’équalisation s’accrut. Il se demandait si seul Slor le savait ou bien si tous ceux qui participaient à la synthèse avaient réalisé la signification de cette image ? Il se sentit harcelé par cette angoissante pensée de devenir un grain de sable semblable à tous les autres sans plus jamais de château de sable, sans jamais plus de Xérys comme celle qu'il portait actuellement en lui ... phare lointain, disque brillant.
- Slor, êtes-vous heureux?
-Heureux? répéta Slor. On sait que chez vous ce terme existe en opposition au "malheur", un haut par rapport à un bas. Ici, comment dire, notre âme est équalisé de façon étale. On est bien avec soi-même. Est-ce cela être heureux?
-Avez-vous aimé?
-Aimé? Accepter les autres volontiers?
-Non…reprit Éésis. Non…Vous ne pouvez pas savoir. Ici, il n'existe plus de relation privilégiée ou de passion entre deux êtres qui se sentent des affinités qu'ils ne trouvent pas dans les autres…Éésis s'arrêta brusquement puis d'un air sombre continua: Il n'y a pas "d'autre" chez vous vous n'avez que des reflets de vous-même. C'est pour cette raison que vous habitez dans cet isolement car vous êtes tous ceux-là. Il n'y a pas de haine sur Lyrde, il n'y a plus d'amour: c'est la paix! Mais pour moi cela ressemble à la mort, excusez-moi, je suis troublé, trop troublé!
Slor tendit sa main comme il l'avait déjà fait plus tôt. En Éésis se combattaient des sentiments contraires: le lyrde lui offrait la paix, le repos, l'apaisement de sa tempête intérieure. Finalement, il posa la sienne à plat comme Slor l'avait fait et le regardant :
-Ca va bien, rassura-t-il Slor en réponse à son expression un peu tendue.
-Avec les autres nouveaux venus, la prise de contact n'a pas été aussi difficile, ils n'ont pas présenté ces brusques accès de crainte comme ceux que vous paraissez ressentir maintenant. Sans doute que c’est en relation avec votre formation de préssenteur. On est désolé que cela vous trouble autant. Il vous faut équaliser et déverser vos déviations dans la mer commune de la synthèse, elle est l'aide de Lyrde toute entière. Venez, installons-nous dehors…
Slor emporta le plateau avec les plats de la cour des Nétrilles. Ils s'installèrent sur cette terrasse aux dallages transparents, entourée d'eau et de fleurs. Tout en se restaurant, Slor lui parlait de ce qu’ils mangeaient, leurs constituants et la façon de les préparer. L’air était devenu très doux après cette brise qui rafraîchissait l'atmosphère comme une pluie bienfaisante, elle leur apportait de multiples parfums. Au dessus d’eux, les nuages rosés s’étaient amoncelés et vagabondaient en striant l’éther vert d’étranges dessins. Slor lui expliquait l’organisation des édifices de Lyrde 1 en lui désignant de la main les différentes zones qui les entouraient.
Éésis n'avait pas renouvelé son entrée dans l'équalisation. Il se sentait bien et regardait la ville. Son esprit était plus serein, entouré par la beauté environnante et le chant de l'eau. Mais quelque part au fond de lui, très loin, ces facultés qui avaient fait de lui l’un des premiers de sa confrérie, continuaient à travailler intensément.
Il savait que cet état n'était pas le sien réellement, que le rassembleur en était la cause et qu'une partie de lui, la plus lucide, lui hurlait de retirer cette sublime réalisation en métal d’Irid de sa tête et que pourtant, il ne le ferait pas, du moins pour le temps présent.
Cela faisait trois jours qu’Éésis avait commencé l’apprentissage de la synthèse. L’appréhension préliminaire avait complètement disparu. Il sentait qu’il parvenait à maîtriser ce qu’il y déversait et il prenait garde, surtout depuis qu’il pratiquait le rassembleur sectième après sectième, de ne pas intégrer tous les problèmes en rapport avec sa mission première lors de l’équalisation de la planète ou lors des communications avec Slor. Le conseil l'avait envoyé chercher le pourquoi. C'était un point acquis. Mais Éésis craignait bien qu'en fait pour le Conseil interplanétaire, le pourquoi signifiait en fait le comment et un comment techniquement très précis et explicite. Faisons le point, se dit-il avec un soupir tout en marchant, la synthèse, j'en conçois le fonctionnement mais comment les Lyrdes parviennent-ils à la réaliser sur toute une planète… Le vide flotta quelques temps dans son esprit pendant que ses pas s'éparpillèrent automatiquement vers son but.
Finalement, trois éléments se détachèrent du reste.
Chaque habitant de Lyrde participe à la synthèse et porte un rassembleur, mêmes les nouveaux venus puisqu’ils ont des séances d’apprentissage, que l’on pourrait qualifier « d’obligatoires ». À chaque brise, les lyres émettent une mélodie dont les vibrations sonores agissent comme un diapason planétaire…? Il y a la musique des Lyres qui donnent ce « do » relayé par les rassembleurs et cette note planétaire est disons équilibrée en cas de variation par les sages sur des fauteuils de verre et réalise la synthèse partielle pour chaque Satil. Et enfin, les paroles résonnaient désagréablement à son oreille : on ne peut prendre plus qu’on ne donne à la synthèse jusqu’au stade ultime des Sages. Il pressentait confusément que là, se trouvait finalement la solution et que le fait de livrer la synthèse aux autres planètes s’auréolait de danger.
Tout en souhaitant se tromper, il se retrouva au pied des escaliers qui menaient vers la metalithèque et monta rapidement. Le rideau aqueux s'interrompit devant lui et il fut accueilli par les deux Lyrdes qui l'attendaient avec cette expression indéfinie qui correspondait chez eux à une très grande joie.
-Qu'avez-vous donc découvert en mon absence qui vous réjouisse ainsi: des métalits oxydés ou des souvenirs de famille peut-être ? , demanda-t-il avec un chaleureux sourire.
Les yeux du professeur Xand s'écarquillèrent légèrement:
-Vous m'étonnez de plus en plus. Je n'ai toujours cru qu'à moitié ce que l'on racontait sur les préssenteurs de Taor, mais je dois dire que vous pressentez exactement.
-Non...non…, dit Éésis en se mettant à rire franchement. Je n'ai pas pressenti. J’ai dit cela au hasard…
-Cependant, c'est précisément exact, remarqua Slor. Dans les huitièmes sous-sols, on a retrouvé effectivement des métalits en piteux états et des objets de mes ascendants. Crois-tu que ce soit vraiment un hasard?
Éésis resta un instant à fixer Slor pendant que son esprit cherchait la faille.
Je n'étais pas en phase de pressentir, je le sais... . Je n'ai pas fait la démarche d'initiation non plus, sauf. .. Sauf si la synthèse sert d'initiateur permanent et que la séance d'entraînement joue le rôle de catalyseur.
Cette découverte le troubla profondément et il s'écoula un bon moment avant qu'il ne réalise brusquement qu'il se déchargeait sur la synthèse, tout naturellement et que du même coup Slor et le professeur Xand avaient perçu le résultat de ses réflexions. Alors, il déversa avec insistance vers la synthèse cette idée et répéta comme pour s'en convaincre d'une voix un peu grave et tendue:
-Non. Ce n’est qu'un hasard. Sa tension était déjà presque complètement désagrégée par l'équalisation et c'est sur un ton serein qu'il put continuer: Bien alors où sont ces trouvailles ?
-Les métalits sont au laboratoire, dit le professeur Xand en se levant. On les dépouille de la pelica sans nuire aux connaissances qu'ils contiennent. Il posa une boite devant Éésis et continua en soulevant le couvercle. Nous avons identifié quelques-uns de ces objets, la plupart même.
-Mais pour certains, la synthèse ne les identifie pas... peut-être que toi, tu le pourras.
-Slor, je ne suis pas un magicien ni un faiseur de songes, mais je peux essayer de pressentir sur eux
-Ce qui revient au même pour nous, remarqua le professeur en lui tendant un morceau de cristal taillé.
Son allure générale était asymétrique, assez ventrue à une de ses extrémités et plus effilée de l'autre. Le cristal était limpide, si limpide qu'Éésis en l'apercevant ne put s'empêcher d'y noyer quelques instants son âme. Il passa doucement la main sur l'étrange pierre et ressentit comme une sensation vaguement familière.
Une voix chaude, comme un souffle des vents d'été, là-bas, dans son enfance, l'enveloppa de son murmure ...
-Qu'y-a-t-il d'autre ?, finit-il par demander. Le professeur sortit une feuille de métal souple plié. Je peux vous dire sans pressentir qu’il s’agit d’une carte des anciens Xeryens.
-Mais il n'y a rien dessus.
-Si, mais vous ne pouvez pas la lire. Il faut être sur Xérys et saupoudrer la surface du sable des plaines de Xérys, après avoir soufflé, la carte apparaît. Mais c'est peut-être la carte d'une propriété, d'un champ, de n'importe quoi ... même d'Irmani.
-Là, ce serait un trop beau hasard, dit lentement Slor. Mais ceux qui sont venus de Xérys auraient parlé à leurs descendants de ces objets, s’ils avaient une signification aussi importante.
-Slor, des gens partis d'une planète, où ils ne peuvent rester, emportent un ou deux souvenirs. Peut-être en parlent-ils à leurs descendants-premiers puis les mettent à l'abri au huitième sous-sol. Que veux-tu que les autres, toi, fassiez de babioles venant d'une planète dont ils ne connaissent rien. Le souvenir quand il remonte aussi loin s'étiole et se disperse pour le peu qu’il en reste dans la mer de la synthèse.
Le professeur Xand regarda d'un air curieux Éésis.
-Prof ... comme dans tous circuits, il y a des déperditions, celles qui semblent de moindre importance. Quelle importance peut avoir pour des Lyrdes la signification de ces objets de Xérys?
-Et pour quelqu'un de Taor? interrogea Xand.
-La différence est que sur Taor, nous ne connaissons pas nos ascendants. Notre société refuse d'influencer un être par des notions venant d’autres que lui-même, surtout si elles viennent de ceux à qui il doit la vie car elles auraient alors un impact affectif contre lequel un être jeune au seuil de son développement ne pourrait se défendre. Le but est de préserver et de laisser se développer en toute liberté les individualités. Taor exclu les autres cultures de son éducation mais leurs connaissances sont stockées dans une banque de données et répertoriées d'une façon systématique accessible à tous. C'est pour cela que je connais ce type de carte et son mécanisme, j'en ai vu une représentation tridic dans les stocks mais jamais l’objet réellement. Je ne sais pas si mes ancêtres sont liés à Xérys, c'est une possibilité...
Slor regardait la main d'Éésis qui, avec lenteur, passait machinalement sur le cristal face après face.
-Et cela?, demanda-t-il en désignant le cristal
-Je ne sais pas ce que c'est, répondit Éésis et il éleva devant ses yeux le cristal. Je ne sais pas ce que c'est, pour l'instant..., répéta-t-il d'un air absent, mais je le saurai, son contact... puis-je le conserver?
-Bien sûr Il y avait ces deux objets encore...
Slor sortit de la boite une petite plaque brillante toute lisse et un médaillon gravé d'un triangle traversé par des lignes droites et brisées sur une face et sur l'autre de points, de creux et de lignes. Éésis prit la plaque métallique et la posa à côté du cristal sans plus y prêter attention, puis souleva le médaillon et le fit se balancer légèrement au bout de sa chaîne. Il semblait perdu dans ses pensées, il se leva et se mit à arpenter la pièce. Les deux lyrdes se taisaient en le regardant faire. Éésis vit leurs silhouettes se refléter sur le métal d’Irid en se superposant à la ville de Lyrde plus lointaine. Il se souvint quand, il y a trois a-jours, il avait rencontré le professeur Xand, il avait été étonné de le trouver différent de Slor, tout en étant si semblable. Il n’aurait jamais pu dire où se situaient ces différences, mais il savait intrinsèquement qui chacun d’entre eux était précisément. La synthèse intervenait-elle... ? Il fixait le médaillon sans vraiment le voir, les pensées d'Éésis lui échappèrent tout à coup…
Il sentit la représentation du triangle et des lignes s'inscrire en lui avec insistance. Il pressentait un rapport direct entre ce médaillon et la fragmentation de l'essence. Il se sentit s'enfoncer dans une mer étrange et chaude et presque aussitôt une sensation de suffocation, de manque d'air lui fit reprendre pied dans la réalité. Slor et le professeur étaient à côté de lui, l'air inquiet. Éésis secoua la tête. Ils le firent s'asseoir.
-Ça va?, s'enquit Slor, tu as eu une grande angoisse. Il y a eu un appel au secours dans la synthèse
Après quelques instants, Éésis leur demanda :
-Est-ce que vous avez été en relation avec ce que j’ai pressenti ?
-Non, répondit le professeur Xand avec un balancement de la tête, votre esprit était fermé à la synthèse. Seule votre émotion nous a été communiquée, que s'est-il passé?
-Franchement je n'y comprends rien. C'est la première fois que cela m'arrive. En tout cas, ceci…, il leur montra le médaillon, est en relation directe avec la fragmentation. J'ai senti qu'il était un bon initiateur et qu'il me permettrait de parvenir où je voulais, mais j’ai eu une sorte de blocage. Mon esprit, mes pensées ont refusé de le suivre, comme si il m'était vital de revenir à la réalité.
-Ça va mieux?
-Ca va très bien... maintenant surtout, avec la synthèse.
-Tu as été secoué.
-Oui, un peu comme la première fois où j'ai vraiment pressenti, mais ça va mieux. Je pense que cela aurait pu être plus dur sans l'équalisation cela m'aurait peut-être empêché de recommencer.
-N'est-ce pas dangereux? demanda d'un air inquiet Slor.
-C'est sûrement purement imaginaire, cette impression de noyade.
-Si tu essaies à nouveau, essaie d'équaliser en même temps.
-Je n'utilise pas très bien la synthèse, Slor, je ne suis qu'au début de l'apprentissage.
-Éésis souvent les nouveaux venus donnent trop à la synthèse ou de façon désordonnée. Cette maîtrise, on ne l'apprend jeune que peu à peu et ce n'est pas facile, tout lyrde le sait. Mais toi, tout à l'heure, tu n'as communiqué que la conséquence de ce qui t'arrivait. Tu as toujours scindé ces deux domaines: tes pensées et ton ressenti. Je pense même que, hormis les sages, peu de Lyrdes les séparent aussi parfaitement.
-Tu exagères Slor, écoute franchement, bientôt je vais passer pour être le dieu de Jiliane ... Il est vrai que la formation de préssenteur développe cette scission. Lorsqu'on pressent l'esprit s'oriente dans une position où seule la pensée travaille en totale indépendance des influx extérieurs.
C'est l'initiateur qui fixe la pensée en dehors du présent et à partir de lui, des connaissances emmagasinées, elle suit un itinéraire parallèle à d'autres schémas analogiquement similaires puisés dans le savoir inconnu que la formation de préssenteur a intégré dans le subconscient. Alors je peux pressentir et aboutir à une solution, mais je ne le peux qu'uniquement en dehors de mes sentiments et tout à l'heure... Tout à l'heure, c'était comme une fuite entre mes sentiments et ma pensée, un courant qui entravait mon cheminement, engloutissant la pensée qui était moi. J'ai eu cette impression de me noyer ... voilà, c'est tout.
Slor le regardait d'un air soucieux.
-Qu'y a-t-il encore? Qu'est-ce qui me vaut cette ride minuscule?
-Slor est inquiet et tendu, dit Xand, parce que vous suffoquiez réellement. Si vous ne vous étiez pas arrêté, que serait-il arrivé?
-Je suffoquais?
-Oui, confirma Slor.
Éésis l'observa un moment et il pensa en lui-même qu'il n'aurait pas cru, depuis sa découverte de la synthèse qu'un Lyrde puisse être affecté à ce point. Il se mit à équaliser et comprit que Slor était en dehors de la synthèse. Il s'approcha de lui, mit sa main sur son épaule et se concentra tout en expliquant :
-Ce n'était pas possible de continuer; mon sens de la survie ne le pouvait pas! Bien assez parlé de ça. Reprenons nos recherches, sur les autres textes. Je vais garder le cristal et la plaquette. Je te laisse le médaillon, Slor. Il faudra que je réessaie dans quelques temps en équalisant.
Slor se détendit insensiblement et son aura se stabilisa. Le professeur Xand avait observé Éésis et Éésis comprit à son regard qu'il savait ce qu'il venait de faire.
Ils ressortirent les métalits qu'ils étudiaient depuis ces derniers a-jours.
Ils travaillaient sur des métalits différents à la recherche de textes, de passages éclairant un peu plus le sujet du voyage vers les sept Soleils. Éésis se sentait bien.
Bien sûr, la synthèse intervenait mais sa jauge personnelle savait qu'il était bien en dehors de toute modification de ses ondes. Des liens étranges se tissaient entre lui, Slor et le professeur, des liens qui étonnaient les deux lyrdes aussi bien que lui-même. Ils avaient mangé frugalement au cours d’une pause sur la terrasse. Le lieu d’étude des archives de Xand se situait, comme le lieu où ils résidaient, sur un étage complet de l’un des édifices de Lyrde 1. Dans une autre zone, de nombreuses archives étaient stockées dans les étages en sous-sol, répertoriées par année mais sans classement précis. La datation concernant les périodes de dépopulation de Xérys avait orienté leurs recherches et Éésis avait voulu se fixer sur celle où les ascendants de Slor étaient arrivés sur Lyrde. Ils avaient depuis trouvé de nombreuses indications mettant en exergue Irmani et la fragmentation; rien de très explicite certes, mais la somme des informations conjuguée à ce que savait Éésis avait accru l’intérêt de la synthèse pour Xérys dans des proportions importantes.
Éésis savait que l'expédition sur Xérys se discutait au niveau du conseil des sages et de l'ensemble de la planète. Il avait des échos de temps à autre lorsqu'il parvenait à équaliser à un niveau suffisamment haut. Dans leur sagesse, les Lyrdes en fait ne voulaient pas envoyer au vu et au su de toutes les autres planètes, une mission avec pour but d'étudier Xérys. Les Lyrdes toujours aussi impénétrables ne pouvaient pas concevoir une action aussi évidente de signification...Il entendait parler de tournée diplomatique grandiose destinée à répandre des consuls.
Il se demandait s’il n'avait pas fait passer dans la synthèse l'idée que le mystère et l'isolationnisme étaient dans l'immédiat un danger autrement plus grand que la peur de se faire envahir ou de se faire dicter des décisions pour satisfaire les autres planètes. C'était un mouvement d'ouverture suffisamment exceptionnel pour masquer un petit groupe de personnes explorant Xérys à la recherche du mystère d'Irmani et du voyage vers les sept soleils. Éésis, tout en pensant à cela, isolé dans sa pensée écoutait le métalit d'un air distrait, quand ces mots le firent tressaillir :
Et la source de tes eaux, oh mon aimé, revint de l’Alvant,
De son absence il avait pris la puissance.
Aimé, la source de tes eaux, par le cristal qui révèle,
Te montrera la source du départ.
Par le cristal qui révèle,
Que tes songes l’emprisonnent jusqu' au moment venu,
Où de Xérys la blanche, tu reprendras la vie passée;
Où de Xérys la blanche, tu donneras la vie future,
Dans la fragmentation de l'Essence.
-Slor, professeur, venez écouter cela. Les deux Lyrdes vinrent le rejoindre. Éésis repassa le métalit. Il tournait régulièrement dans son axe lumineux égrenant son savoir. Qu’en pensez-vous ? C’est intéressant.
- Il parle d’un cristal, souligna Xand.
-Oui, par le cristal qui révèle que tes songes l’emprisonnent, répéta Slor. Puis en montrant celui qui était posé sur la plaque de métal : est-ce qu’il s’agit de ce cristal ?
Éésis eut un mouvement de tête songeur :
-Que tes songes l’emprisonnent…J'ai toujours cru que les chants d'initiation Xeryens s'adressaient à des adolescents en âge de comprendre et je me demande si en fait, comme dans le principe de Taor qui pour pressentir emmagasine dans notre esprit de nombreuses données, je me demande si cette initiation n'est pas pareillement versée dans le subconscient et vient à connaissance juste au moment venu, déclenché par je ne sais quoi ...
-…la vue d’un cristal, par exemple, proposa Slor. Éésis, l’air absorbé, resta silencieux quelques sectièmes puis continua lentement :
-…ou une lumière, un bruit, n’importe quel autre déclencheur mais comment maîtrisait-il le moment où cela se produisait ? Enfin si c’est bien le cas, nous ne trouverons rien dans des archives de précisément expliqué sur Irmani elle-même ou les conséquences du voyage.
-Peut-être que les Xeryens n'en savaient pas plus avant de se mettre en quête de l'Alvant, suggéra Slor, et qu'après ce voyage, ils ne le souhaitaient pas en parler sauf pour le confier aux songes de leurs descendants.
-C'est possible, admit Éésis d'un air songeur. Il s'étira douloureusement. Je vais m'arrêter pour cet a-jour.
-On va continuer, allez-vous reposer. S’il se passe un fait nouveau nous vous contacterons
-Merci. Éésis sortit en emportant le cristal et la plaque de métal.
Slor resta immobile regardant la porte liquide se reformer puis sans se retourner demanda:
-Qu'y-a-t-il?
-Slor, pourquoi ne pas avoir équalisé, tout à l'heure?
-Car la synthèse m’aurait ôté ce souci, je crains professeur qu'il n’y ait un danger à ce qu'il renouvelle cette expérience.
-Il t'a intégré, tu le sais?
-oui, je l'ai senti.
-Slor, sa venue t'a modifié.
-Lors des communications entre nous, ses pensées et son aura sont étranges. Il redoute la synthèse pour ses bienfaits…
-Slor, il faut qu'il équalise parfaitement. Si au bout de ces dix a-jours, il retire son rassembleur, il sera un danger potentiel. Il restera différent et de cette différence, germent la violence et la haine. On sait que quelque part en lui, il y a l'existence consciente, pour Lyrde, d'un danger où il joue un rôle et s’il demeure en retrait, il faudra en référer à la synthèse qui décidera.
-Mais puisque nous partirons pour Xérys.
-Slor, la synthèse l’a dit ainsi. S’il reste diffèrent, il sera un danger.
-Un danger dont les connaissances sont utiles. Professeur, j'ai sondé la synthèse sur Éésis. Ses ascendants, enfin sa mère était venue de Xérys. Mais sur Taor ils refoulent toute civilisation autre et la condition sine qua non à une émigration est l'abandon des habitudes, traditions, objets anciens...Elle a été exilée quand il était petit pour détournement psychologique d’un être jeune.
Il semble tout ignorer. Taor exploite beaucoup le subconscient et peut-être a-t-il reçu un enseignement qui était un danger à ce que pensait Taor d'où l’existence d'un barrage dans son esprit quand il atteint certains sujets particuliers... La synthèse peut, peut-être, l'aider à faire ressurgir des données inconnues de tradition orale sur Xérys et la fragmentation ... Si on l'assimile complètement dans la synthèse, peut-être brisera-t-on l'existence de cet enseignement.
Xand restait silencieux.
-Xand ?
-Slor, tu as scindé de nouveau ton équalisation, seuls les sages doivent le faire, tu le sais.
-C'est une erreur, c'est vrai…mais…
-Demande à la synthèse.
-Non, avant l'équalisation, donne-moi ton avis.
-Tu vois bien qu'il est dangereux.
Slor ferma les yeux et se déversa totalement vers le rythme de la planète. Les Lyres firent entendre les musiques d'équalisation. Peu à peu, Slor se sentit intégré, assimilé et il prit conscience de son écart. Une erreur qu'il n'avait pas commise depuis sa première année; il ressentit une variation négative qui fut bue par la synthèse en lui rendant une sérénité parfaite. Tout cela avait été inconfortable comparé à la béatitude où il se trouvait maintenant. Il devait veiller à ne pas s'infliger de si mauvais moments. À la fin de la synthèse, Xand lui demanda:
-Cela va mieux?
-oui, merci. On va veiller à ce qu'il participe bien à la synthèse. Les métalits sont à peu près intacts, ils vont arriver pour analyse. Je vais dire à Éésis de revenir, cela l'intéressera sûrement. Se disant, Slor s’immergea dans la synthèse en cherchant le taor. Il pâlit en annonçant à Xand :
-Il y a un problème. Il est en état d'alarme comme tout à l'heure.
Une douleur aiguë lui transperça l'esprit.
Il se déversa désespéré vers la synthèse pour l'annihiler, son aura redevint calme mais le souvenir de la douleur lui restait. Et malgré la ressource de la synthèse, aucune explication n’apparut.
-Ca y est, il est tiré d’affaire, dit brusquement Xand. Slor le fixa un moment, puis commença
-Le cristal…
Par le cristal qui révèle. ..
Il y a bien longtemps mon aimé, ceux dont j'étais l'aimée et d'eux même plus loin, d'aimé en aimé, ils n'étaient pas d’ici mais d’ailleurs. Cette histoire te paraîtra un conte et te fera dormir, un joli songe qui te suivra et que tu transmettras à tes aimés… Il y a bien longtemps, c'était une planète blanche, toute blanche, Les vents liquides étaient blancs. Les fleurs, les cieux et les sables étaient d'un blanc unanime. La source des eaux était immaculée.
-Ça devait être triste, interrompit sa voix gazouillante. Une sensation de caresse tiède.
-Non, aimé chéri ... non, c'était beau... Ce n'était pas des blancs tous pareils, certains brillaient de mille feux, d'autres presque transparents et je me souviens, ces fleurs aux formes de dentelle; elles étaient belles. Oh oui, si belles... Plus belles que le Kenopyrium aux multiples pétales…
Ces aimés venaient des eaux d'autres aimés qui, il y a encore beaucoup plus longtemps, étaient partis de la grande bleue…
Après un long, un très long voyage, ils se sont installés sur Xérys la blanche. Mon aimé, il existe un autre voyage, il t’attend là-bas …un voyage, celui vers les sept soleils. Un voyage comme l’ont fait les sources de nos eaux…Mais tu tombes de fatigue.
-Non.
-Si, demain soir. Maintenant dors…petit Éésis et que, par le cristal qui révèle, mon conte s’enfouisse dans tes songes… tes songes…
Peu à peu insensiblement les paroles s'évanouirent au fur et à mesure qu'Éésis sentait sa conscience refaire surface et s’éveiller…
Il y avait de la pénombre.
Dans un fauteuil était assis Slor, il le devinait et il le sentait en train de chercher quelque chose... Éésis ne dit rien écoutant les paroles de son sommeil qui résonnaient à l'infini. Il avait entrevu un visage, le même que l'autre fois ... Le visage qui accompagnait ces paroles le fixait tendrement. Son émotion était intense, trop intense ; il s'épancha vers la synthèse. Slor se redressa :
-Éésis?
-Oui.
-Cela va-t-il bien?
-Tu dois le savoir, je pense. Il y avait un reproche dans sa voix. Il comprit vite qu'il reprochait à Slor ce que lui venait de faire: déverser son émotion. Il le regrettait et s'en voulait. Il se sentait dépouillé et affreusement malheureux. L'équalisation intervint mais Slor avait perçu nettement tout cela...
-Pourquoi, Éésis, pourquoi cette variation pour n'avoir pas souffert de tes variations de flux? Pourtant l'équalisation est douce…Slor semblait se poser la question à lui-même autant qu'à Éésis. Celui-ci restait silencieux puis demanda:
-Que s'est-il passé?
-Quand j'ai perçu l'appel d'alarme si semblable au premier, une décharge m’a transpercé. Heureusement avec l'équalisation, je n'ai pas perçu cette variation très longtemps. Tout est redevenu étale. J'étais en paix de ne pas continuer à sentir cela. Alors que toi tu sembles dévié par sa disparition. Éésis regarda le lyrde un long moment et s'intégra complètement à la synthèse pour communiquer avec lui : je suis trop en relation avec toi. Slor, jamais auparavant, tu n'avais eu de telle variation. Nous devrions espacer nos échanges directs... je ne veux pas te causer de mal…
Curieusement, Slor répondit de vive voix:
-Ce n'est pas le moment. Si nous n'avions pas perçu par recherche ton appel, il aurait peut-être été trop tard... Ce n'est pas grave pour ce qui m'est arrivé, ça n'a pas duré avec la synthèse. Je préfère veiller à ce qui t'arrive... C'était le Cristal?
-Oui, j'ai compris à posteriori à quoi il sert mais au départ j'ai juste pressenti un tout petit peu. J'ai équalisé pour intégrer la synthèse et vous joindre toi et Xand. Mais en même temps, j'ai fait tourner le cristal sur la plaque, il y a eu comme un sifflement et j'ai été entraîné sans retenue possible dans un tourbillon de lumières et de sons... Et alors... eh bien, je me souviens de certaines choses et je le crains, de ma mère et de ses ascendants.
-Xérys?
-Tu pressens aussi, alors? dit Éésis avec un sourire.
-Non, on est au courant de faits qui te sont peut-être inconnus.
-Ma mère?
-Oui, je suppose.
-Que s'est-il passé?
-Pour tentative d’influence sur un jeune esprit, elle a été exilée...
- dans un des camps du sud de Taor?
-Je crois oui.
-Et maintenant.
-Il n'y a plus de maintenant.
Un visage passa rapidement devant les yeux d'Éésis... Aimé ... La source de nos eaux…
Une souffrance fulgurante et une haine de Taor déferlèrent en lui déchiquetant tout sur son passage. Il lutta contre son envie d'équaliser et il se sentit ravagé par une destruction intense que rien ne pouvait endiguer. Son visage était bouleversé. Brusquement tout se calma, Slor s'était approché de lui et stabilisait son aura. Devant le regard du Lyrde, Éésis équalisa et entra dans la synthèse en disant d'une voix tendue:
-Tu n'aurais pas dû intervenir.
-Mais tu étais... si... si désespéré ! C'était trop, beaucoup trop intense, tu es encore faible.
-Slor... je ne suis pas pareil. J'ai déjà ressenti des variations autrement plus importantes, peut-être moins dévastatrices, c'est vrai...Les relations familiales n’existent pas sur ma planète, je n’aurai pas dû avoir une réaction de cette ampleur. Mais…
-… pour les Xeryens, ce lien était peut-être puissant.
-Oui, très puissant…, répéta Éésis en fixant Slor, puis d’un air grave. Je crois qu’il vaut mieux pour toi que tu arrêtes de m'équaliser.
-Tu l'as fait tantôt.
-Oui mais ...
-Ce qui est vrai pour toi, l'est pour moi.
-Non, car moi je suis habitué aux variations, aux grandes variations, mais pas toi.
-Éésis, il faut que tu équalise davantage. C'est important. Le taor sentit dans le ton de Slor comme un avertissement.
-Très important ?, demanda-t-il. Slor fit oui de la tête. Important au point qu'on n'entendrait pas mon appel?
-Cela risque d’arriver… oui. Mais, ton appel m’atteindrait, même avec la synthèse. Il y avait un regret un sentiment de déception dans la voix de Slor qui fit sourire Éésis.
-Je vais équaliser davantage, Slor... C'est promis.
-Tant mieux et puis il faut suspendre ... l'usage du cristal.
-Non! La voix d’Éésis s'était durcie au point d'être tranchante. Il faut que je sache ce que ma mère a déversé en moi et ce, malgré le danger que représente la rupture du barrage que Taor a dressé pour que je n'y accède pas... Elle a risqué sa liberté et sa vie pour me transmettre ces paroles... Je le lui dois.
-Mais cela ne lui sert à rien.
-Je connais son visage et je me sens lié à elle. Il faut que je retrouve sa voix et ce qu'elle dit de la source de nos eaux.
-Mais elle est dissipée, qu'est-ce que ça lui apportera que tu risques la même chose? Nous avons dépouillé les métalits... il n'y a certainement rien de très intéressant dans des discours faits à un enfant de trois ans.
-Si.
-Et quoi?
-Elle était ma mère, elle m’a aimé et je veux connaître d'elle ce que je peux en connaître.
-Ca perturbera seulement ton aura et tu ne ...
-Tu es bien un lyrde avec votre équalisation, une humeur rectiligne, sans aucune variation! Vous n'avez plus rien d'humain si vous ne savez pas ce qu’aimer veut dire. Vous ressemblez à vos statues de fontaine qui bougent continuellement mais ne vivent pas !
Éésis s'était emporté.
Il s'arrêta brusquement en voyant l’expression de Slor : la déviation ressentie s’affichait en un bouleversement extrême de ses traits, comme il ne lui en avait jamais vu. Il lui prit l'avant-bras et s’enfonça à pic dans la synthèse, en ôtant pour la première fois tous les barrages de son esprit, tous ceux qu’il pouvait connaître et maîtriser. Il coula au milieu du flux des consciences de Lyrde. Il se noyait emporté par le désir d’aider Slor; peu à peu tout ce qu’il connaissait, tout ce qu’il ressentait, ce qu’il pressentait, se dissolvait en d’innombrables particules au sein de cette mer immobile. Tout ce qu’il était, fusionnait avec elle jusqu’à ce qu’il en perde la notion de son existence propre. Il était la mer de la synthèse, rien ne l’en différenciait plus. Jusqu’au moment où il perçut qu’il était au tréfonds de l’architectonique de la synthèse planétaire, dans ses mécanismes les plus secrets. Alors Éésis sentit que l’on sondait en lui et d'un coup, il s’extirpa de la synthèse et émergea à la réalité.
-Ça va?, s’enquit-il d’un air inquiet, en fixant Slor qui semblait légèrement étonné.
-Oui mais toi? Tu as dépassé des limites que je n'ai jamais franchies dans la synthèse.
-Excuse-moi pour tout à l'heure, je disais n'importe quoi ...
-C'est cela, la haine?
-Non... j'avais mal et je voulais en faire. Éésis soupira. C'est un genre d'équalisation en négatif.
-Cela se fait souvent?
-Trop souvent. Vous avez finalement une certaine sagesse sur Lyrde, il faut le reconnaître. Mais son prix m’en parait bien trop cher…
-Tu es le seul des nouveaux arrivants à trouver la synthèse si dure. Tous les autres sont enthousiastes.
-Tu oublies que je suis presque le dieu de Jiliane! Éésis se mit à rire. Rassure-toi j'ai toujours été spécial, même sur Taor on se méfiait de moi, peut-être finalement à cause de ma mère et de ce qu'elle avait fait. Une vague de mélancolie passa sur son visage. Quel était son nom, Slor ?
-Aïlaé.
-Et mon père? Qu'en est-il advenu?
- C’est plus flou mais le nom d’Aïlaé était évoqué pendant longtemps avec celui du préssenteur Sautel. Il a participé à la réponse de la confrérie sur son cas... Mais chez vous, attenter au développement d'un individu en l'influençant est...
-… le pire des crimes!
-Sautel s’en est dissipé peu de temps après…
-Le pire des crimes et pourtant, ils bourrent notre subconscient et y installent des barrages que nous ignorons et que nous ne pouvons pas maîtriser... Comment savez-vous tout cela ?
-La synthèse permet d’innombrables recherches et recoupements, surtout au moment où ton nom est apparu dans les demandes de transfert. Éésis, ajouta-t-il d’un ton grave si tu veux renouveler l’expérience avec le cristal, promets de le faire en présence de l’un de nous deux.
-Je te dis exact que demain après l'apprentissage, je recommencerai cette expérience en ta présence et celle de Xand. Je pense qu’il a perçu mon passage dans la synthèse et que son avis à mon sujet a changé…finit-il avec un sourire.
Près d'une semaine h-t-v s'était écoulée depuis cet instant où après si longtemps Éésis avait rencontré Aïlaé. Il avait répété l'expérience chaque jour mais seulement en présence de Slor et Xand comme il l’avait promis. Il lançait le cristal sur la plaque métallique et sa rotation spiralée faisait jaillir un flot de lumière et de couleurs accompagné par un sifflement modulé. Auparavant, il prenait soin d'équaliser parfaitement ce qui lui permettait de diminuer les conséquences lorsqu’il forçait le barrage de Taor. Malgré cette précaution, ses variations frôlaient parfois le pic d'alarme et une ou deux fois, tout comme la première fois, le même problème s'était reproduit. Et jour après jour, Éésis inébranlable recommençait écoutant avidement la voix d'Aïlaé lui parler de là-bas avant le grand départ et d'après, lors des huit planètes et de la fondation de Xérys tel un enregistrement entrecoupé. Slor et Xand ne comprenaient pas autant d'acharnement, mais à la différence de Xand qui acceptait sans se poser de question, Slor tentait de comprendre et Éésis essayait de lui expliquer ses raisons. Les a-jours se succédèrent doucement pendant que, les démarches visant à l'organisation de la mission, se déroulaient au plus grand niveau.
Éésis en participant aussi totalement à la synthèse pour aider Slor, avait fait justement ce qu'il fallait pour que Lyrde lui fasse totalement confiance. Il avait presque été complètement analysé livrant tout ce qu'il savait par réaction envers Taor. Lyrde avait compris que son mystère la rendait suspecte et qu'elle devait s'intégrer en renouant des relations plus classiques avec le conseil des six autres planètes. Éésis vivait des moments d'émotion intense tout en restant maître de lui-même grâce à la synthèse ... Sans celle-ci, jamais comme l'avait pensé Slor, il n'aurait pu parvenir à ce compartiment si cadenassé de son esprit.
Au fil des jours, il devenait plus calme.
Il avait conservé son rassembleur car il lui était bien trop utile pour joindre la source de ses eaux et il était trop avide de l'enseignement de sa mère pour pouvoir s'en passer. Il avait bien remarqué une légère modification de son visage, un effacement imperceptible de petites rides au coin des yeux ou sur le front. Même son attitude vis-à-vis de la synthèse s'estompait sans qu'il en prenne réellement conscience. L'étonnement de Slor devant son attachement aux variations, sa tentative infructueuse à l'expliquer, lui montraient combien ces attraits étaient inconsistants par rapport aux bienfaits de l'équalisation. Il reconnaissait à la société lyrde une sagesse infinie où ne surgissait ni problème, ni discussion, ni violence. L'être humain étant ce qu'il était, la sagesse du système résidait dans le développement à l'extrême du vieil adage: »ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse» et dans ces conditions, la société ne présentait plus de problème d'inégalité, d'opposition ou de persécution. Chaque lyrde était d'une politesse extrême entremêlée de tendresse et faisait preuve d'une compréhension et d'une patience infinie en face de celui qui n'était, somme toute, qu'un autre lui-même.
Pendant cette période, Éésis eut la possibilité d'accéder aux connaissances de Lyrde, d’une richesse exceptionnelle pour quelqu’un d’aussi curieux et comme chaque a-jour, il s’ouvrait davantage sur son subconscient, son esprit travaillait à une vitesse autrement plus rapide qu'en état de veille. Peu à peu, Éésis perdait ses angles, tendant à se polir en une sphère uniforme, forme parfaite de l'équilibre. Il ne voyait plus guère le temps passer entre Xand et Slor et puis, sa curiosité commença à fléchir…Il se complaisait dans cette nuageuse sérénité où l'esprit s'endort comme sur une couche à répulsion magnétique. Un matin qu'il avait réalisé une nouvelle fois sa synthèse parfaite avec la planète, il sentit qu'il n'avait plus vraiment envie d'entendre Aïlaé. Xérys lui paraissait bien lointaine et Irmani presque un fantasme…Tout cela finalement était inutile et puisqu'il était bien ainsi, quel besoin avait-il de se disperser? Il se demandait avec étonnement, pourquoi Slor et même Xand avaient tant d'acharnement à découvrir des explications sur ces sujets ?
Ce matin-là, trouvant l'air doux, le ciel d'un vert tendre, il partit dans les rues de Lyrde 1. Il marchait sans réfléchir en goûtant la douceur du matin et celle simplement d'exister. Il aimait particulièrement la lumière de la cour des Nétrilles et le bruissement des arbres translucides. De nombreux lyrdes faisaient des échanges avec dans leurs mouvements une élégance et une souplesse donnant l'effet d'un ballet entrecoupé de légères inclinaisons. Cheminant au hasard, il se retrouva comme au premier a-jour devant ces arcades et cette fontaine somptueuse mais les pensées qu'elle avait entraînées, à ce moment-là, ne ressurgirent pas. Éésis baignait dans un milieu liquide d'uniforme sérénité... Sans s'en rendre compte, l'appréhension, la peur de ce qu'il redoutait était morte et il était devenu ce qu'il craignait au départ, un lyrde à part entière: petite goutte d'eau dans la mer de la synthèse. Il continua son chemin en automate et arriva à la salle du rassemblement qui était déserte. La synthèse était passée depuis longtemps déjà et les dix sages l'avaient quittée.
Éésis regarda Lyrde qui s'étendait au pied du Dôme et somnambule, il s'assit sur un des fauteuils de verre. Puis appuyant sa tête contre le dossier, il leva le regard vers le ciel.
À ce moment précis, Éésis comme un immense récepteur, sentit les ondes de toute la planète. La synthèse, qui depuis qu'il avait commencé à l'utiliser lui servait d'initiateur, fonctionna mais autrement plus puissamment que toutes les autres fois où il avait pressenti en arrière du présent. Il voyait le ciel et Lyrde 1 à ses pieds, là-bas les Nétrilles, la fontaine et son regard plongea à la vitesse effrayante dans le temps, en remontant des événements inconnus. Il y eut des couleurs aveuglantes d'intensité et son aura subit des perturbations de grandes amplitudes. Il ressentit tous les sentiments ancestraux qui s'étaient évanouis dans un tourbillon de bruits, de rire, de paroles de colère, de déclarations d'amour, de tendresse, de haine, de mépris, le tout amalgamé en des voix criantes, douces, murmurées, impérieuses ...
Plus il cherchait à annihiler cette déviation en allant vers la synthèse, plus celle-ci lui renvoyait des variations importantes. Puis brusquement, tout s'immobilisa sur une Image: la vision de la grande bleue ... Quelque part, quelqu'un l'avait vu, quelqu'un versait vers la synthèse cette image. Dans l'esprit d'Éésis, la planète blanche succéda à la planète bleue et il se coupa, peu à peu, de toutes les décharges de la planète. Insensiblement, il se mit à détourner toute la puissance de la synthèse pour accélérer la bande qu'il écoutait depuis quelques temps. Quand tout à coup se suspendirent sur un fond de silence des mots de jadis enfouis dans ses souvenirs les plus lointains:
Éésis mon fils, par le cristal qui révèle.
Et par Lai1aïca, la source de nos eaux.
Tu seras aux temps venus, celui qui accomplit
Comme celui qui commença
Par celui qui commença
Oh mon fils Éésis.
Si tu dépasses ta peur et surtout ton courage
Si tu dépasses ta haine et surtout ton amour,
Tu connaîtras,
Tu retrouveras pour toutes nos eaux futures
Irmani la splendide engloutie de nos eaux passées
Tu détruiras les vents de lumière
Même si tu dois perdre ta vie et plus que ta vie
Éésis, ils t'ont choisi.
Mais le moment et le jour te seront révélés
Ces paroles que nul ne doit connaître.
Éésis mon fils, je dois t'abandonner ...
Un visage passa, des yeux, la caresse d'une main.
Éésis tressaillit, il regarda le ciel vert clair et le reflet atténué de Xérys. Il se leva et ôta brusquement le rassembleur qu'il fourra dans sa poche. Il respirait difficilement. Il sortit de la salle presque en courant. Dehors, il régnait une grande agitation: les lyrdes semblaient troublés autant que cela puisse l'être. Éésis se dirigea vers la metalithèque et retrouva Xand et Slor.
-Qu’est-il arrivé, leur demanda-t-il? Ce fut Slor qui lui répondit.
-La synthèse s'est suspendue pendant plusieurs sectièmes. Les variations de flux ont parfois atteints des limites importantes ... nous sommes tous déviés, certains très gravement et cela a créé un bouleversement dans l'équilibre de la planète. Toi, tu es habitué, mais nous ...
-Non, moi aussi, j'ai été secoué.
-Où étais-tu?
-Je me promenais vers les Nétrilles. J'aime beaucoup cet endroit.
-Cela a dû être terrible, dit Xand en secouant la tête, se retrouver brusquement en face de tant d'inconnus alors que le sectième avant on était soi. Éésis très pâle s'assit d'un air fatigué. Xand le dévisagea et reprit: Vous êtes vraiment un lyrde, vous semblez très affecté par cette déviation. Vous ne devriez peut-être pas joindre Aïlaé cet a-jour...
-Je ne joindrais plus Aïlaé, je crois...
Slor tressaillit et fixa Éésis:
-Mais tu disais ...
-C'était avant. Je ne tiens plus à subir ce genre de sensation.
Xand lui tapa sur l'épaule d'un geste familier plutôt surprenant:
-Bienvenue à vous, Éésis de Lyrde!
Éésis retint un frémissement à la pensée qu'il venait juste d'éviter de le devenir effectivement et annonça aux deux lyrdes qu'il allait rentrer se reposer. Slor finit par dire:
-Juste avant la rupture de la synthèse, on a su que la mission était réglée. Lyrde envoie donc des délégations qui vont s'installer sur les autres planètes de façon à établir de meilleures relations en leur expliquant notre mode de vie et en insistant sur ce que toi, tu as trouvé comme désavantages ...
-avais trouvé.
-oui, ce que tu avais trouvé comme désavantages. Ce devrait être suffisant pour les décourager de désirer profiter de la synthèse.
-C'est une très bonne idée, approuva Éésis.
-Donc, continua Slor, un nombre important de représentants de Lyrde vont partir et faire le tour des planètes sœurs. Le choix de l'ordre découle du texte de la grande charte avec l'énumération des noms des stations: ainsi personne ne sera diplomatiquement lésé et le périple se terminera sur Xérys. Personne ne se rendra plus compte de notre absence puisque après un séjour de repos à Cahina, les autres en repartiront.
-Nous allons visiter toutes les autres planètes, avant?
-Oui.
-Même Taor? Ils risquent de ne pas apprécier ma venue.
-Pourquoi? Cela te permettra de faire le point pour eux: ils seront ravis. Tu pourras toujours dire que si tu ne veux pas attirer l’attention, il te faut aller sur Xérys finir le périple ...surtout que tu le désires ...
-Si l’on veut.
-Que voulez-vous dire, sursauta Xand.
-Je suis bien ici, répondit Éésis d'un air vague. Que peut m'apporter de plus Xérys? Ce n'est plus aussi clair pour moi.
-Éésis, le voyage vers les sept Soleils, hasarda Slor d'un air étrange et tendu. Éésis resta un moment silencieux perdu dans ses pensées. Il vit le regard du lyrde le scruter profondément. Il ne pouvait cacher plus longtemps le trouble qui l'habitait. Slor lisait trop bien en lui et il commençait à se sentir devenir transparent.
Il détourna le regard en fixant l'horizon de la ville et il finit par dire d’un ton morne :
-Oui...un joli nom ...mais ce n'est peut-être que cela ... Je vais retourner à la cour des Nétrilles. L'air y est doux. Et il partit sans rien ajouter laissant les deux lyrdes décontenancés.
Après l'interruption de la synthèse, ce désintérêt manifeste d'Éésis pour Xérys plongea Slor dans une agitation qu'il aurait du équaliser. Peu à peu cependant son aura se stabilisa avec quelques difficultés après la surcharge de la planète.
-Xand?
-Oui, il a peut-être été trop intégré. Il a peut-être été trop loin en brisant tant de fois ses barrages. C'est certainement bénéfique qu'il cesse de joindre cette partie de son esprit.
-Depuis quelques a-jours, je ne parviens plus à le joindre dans la synthèse.
-J'ai la même impression.
Slor se leva et alla jusqu'à la baie. Lyrde semblait reprendre un court normal et le bruit provoqué par la suspension de la synthèse avait presque totalement disparu. On entendait le bruit lointain des fontaines et des oiseaux papillons qui mettait en valeur le silence d'une paix retrouvée. Il se retourna en demandant:
-Qu'allons-nous faire?
-Je pense qu'il ira mieux dans quelques temps. Slor et Xand échangèrent un long regard et le premier reprit:
-N'est-ce-pas curieux, vous équalisez comme moi et pourtant nous semblons considérer son entrée dans la synthèse comme un état négatif. I1 n'eut pas de réponse. Xand?
Xand restait silencieux le regard songeur, puis après quelques instants, il se leva aussi en répondant finalement:
-Il a gardé longtemps une personnalité différente marquée, nous avons dû nous y habituer ... Pourtant la synthèse est le mieux qui puisse survenir, nous le savons.
-Oui, mais il n'empêche, insista Slor d'un air troublé que nous équalisons à cette pensée pour éviter une variation négative du flux.
Éésis fit un peu bande à part pendant les a-jours qui suivirent, se promenant au hasard ou restant de longues heures, immobile aux Nétrilles. Il savait que son comportement entraînait de nombreuses déviations négatives chez Slor et Xand; mais il avait ôté le rassembleur et il devait faire face à cette absence sans devoir en plus jouer la comédie à deux personnes qui le connaissaient déjà bien. Il se sentait irritable, avec un manque latent. Sa nervosité se cumulait à un état d'esprit dépressif et il avait besoin de toute sa volonté pour ne pas remettre le rassembleur. Il avait décidé de le garder dans sa poche : d'abord pour que le coffret reste inoccupé mais surtout parce qu'il pressentait que résister à cette tentation à portée de main était bien plus bénéfique. Il avait goûté aux délices de cette sérénité, lui qui avait déjà eu dans sa vie passée tant de souvenirs: jours heureux passés, amitiés perdues, amour déçu, satisfait ou autres émotions infimes et ils revenaient tous, comme autant de variations exacerbées au point d’être douloureuses. Lors de son passage sur un des fauteuils, la douche mitigée qu’il avait reçue sous forme de tous les messages des Lyrdes d'un satil, lui avait fait l’effet d’un électrochoc. Toutes les petites variations découlant de faits insignifiants comme une tasse ébranlée, un geste maladroit, un souffle d'air dans le mauvais sens étaient devenues intolérables et tout son être criait vers le rassembleur pour suspendre cette torture. Pourtant, tout au fond de lui, sa volonté luttait et en faisant souffrir la partie engourdie de son cerveau, se réjouissait de cette souffrance qui lui réapprenait peu à peu à ne pas être un lyrde. Sa raison extirpait l'attrait de la synthèse et ce désir de paix, en lui répétant inlassablement qu'il n'était pas comme eux.
Et des heures durant, regardant les Lyrdes de la cour des Nétrilles, derrière un visage impassible, l'habitude de la synthèse cédait peu à peu pendant que sa main, au fond de sa poche, crispait à s'en blesser le rassembleur.
Slor n'avait donc pas vu ni pu entrer en synthèse avec Éésis depuis quelques a-jours. Le taor partait tôt sans dire où et ne semblait pas tenir à entrer en synthèse avec Slor ou Xand. Depuis l'incident de la synthèse, depuis qu'Éésis avait changé à ce point, Slor se posait de nouveaux problèmes. Il avait essayé de les noyer dans la synthèse pour la plupart; pour les autres, il n'avait pas osé et les avait gardés dans un coin de son esprit mais son équalisation s'en ressentait. Heureusement, il avait de nombreuses occupations dues à la préparation de la mission vers Xérys et à l'établissement de leurs rôles à chacun dans la délégation. Slor pensait à l’état d'Éésis tout en préparant la liste du matériel à l'état Finalement, il n’était pas reparti à Satil d’O7, tous ces évènements dans l’apprentissage du taor l’avait fait demeuré à Lyrde 1, puis la décision du périple avait réglé cette question définitivement. Le lyrde avait senti au fil des a-jours qui suivirent quand Éésis s’était désintéressé d’Aïlaé, comme un vide présent dans son propre esprit et peu à peu, une sorte de murmure comme une ombre l’accompagnait, peu à peu l’idée qu’Éésis était sorti de l’équalisation planétaire s’installait.
Ce doit être cette interruption se disait-il. Il s'est retrouvé confronté avec les variations alors qu'il en avait perdu l'habitude. Car toutes les fois où il joignait Aïlaé, il avait le soutien de la synthèse et brusquement, plus rien ! Irrésistiblement une autre image lui vint, « comme lorsqu'on se noie et qu'une fois au fond, on réalise qu'on se noie et qu'alors... ». Mais cette image ne représentait rien! Rien ! Et pourtant il en comprenait toute la justesse. Cela le troubla. Une déviation négative fit un nouveau pic que Slor essaya d'équaliser. Un semblant de calme lui fut rendu, il continua son travail.
...Lui, Éésis, le professeur Xand: était-ce suffisant ou fallait-il ajouter un membre à cette équipe? Un membre, qui n'avait pas fait les recherches, qui se sentirait un peu en retrait par rapport à eux ? Cette pensée si absurde pour un lyrde lui fit secouer énervé la tête une deuxième fois.
Les jours s'étaient succédés, des brises avaient de nombreuses fois fait chanter les lyres de la planète de Lyrde et surtout la plus grande située en haut du dôme de Lyrde 1.
Éésis avait senti progressivement son être profond se stabiliser, redevenir peu à peu ce qu’il était sans la synthèse. Dans son esprit était marqué comme au fer rouge, les jours d'enfer qu'il avait vécus... Slor était venu une fois le voir et il l'avait vu très troublé par son état mais chose plus surprenante, Slor n'avait pas même tenté de l'équaliser pour le rendre moins tendu. Malgré l’aspect impassible qu’il présentait extérieurement, Éésis soupçonnait que son aura devait être quelque peu chaotique, et Slor, contrairement à toutes les autres fois, n’avait rien tenté. Éésis pressentait que ce n'était pas à cause du rassembleur mais de quelque chose de plus profond chez Slor dont l’aura ne lui paraissait pas aussi harmonieuse qu’auparavant.
C'est à cette occasion qu'il réalisa qu'il parvenait à détecter les auras sans rassembleur et sans contact, comme si celles-ci lui étaient désormais visibles. Il se demandait si le fait de s’être assis sur un des sièges des sages dans la salle de la stabilité l’avait modifié. Il se demanda alors si le rassembleur ne lui était pas devenu inutile pour le reste aussi. Mais le souvenir de la souffrance, la peur de devoir recommencer l'empêchèrent d'essayer de le vérifier. Le professeur Xand lui, se démenait travaillant nuit et jour. Slor préparait l'expédition, emportant, rangeant les choses essentielles et Éésis se remettait de plus en plus.
Un jour il se sentit suffisamment fort et se rendit au laboratoire du Professeur.
-Bonjour à votre soleil, Xand.
Le professeur se retourna, Éésis le trouva un peu différent d'avant et il sentit une impression d'accueil heureux mêlée à une tension qui disparut dans la rectitude de l'équalisation.
-Bonjour à ta lumière, Éésis, comment vas-tu? Mieux depuis ce problème de synthèse... Slor semblait t'avoir trouvé mieux.
-Oui, ça va, répondit-il tout en pensant avec étonnement que pour Slor l'apparition de variations correspondait à un mieux.
-Nous préparons notre départ ... Éésis devina la question posée.
-Que faut-il emporter?
Le visage du professeur s'éclaira imperceptiblement.
-Il vaut mieux demander à Slor, il s'est occupé de tout cela. Éésis perçut que Xand ne reversait pas à la synthèse sa variation.
-Dites-moi Professeur, depuis l'interruption de la synthèse, il semblerait que vous ayez pris goût aux déviations ?
L'aura changea brusquement et Xand eut l'air pendant quelques secondes gêné comme un enfant pris en train de voler un fruit. Éésis ne put s'empêcher de constater ce que cette comparaison avait d'aberrant: un lyrde ne vole pas puisque c'est son fruit...Peu à peu une autre phrase se forma un enfant pris en train de manger tout seul son fruit…Éésis sentit un sourire monter vers ses lèvres, il le réfréna. Mais cela le mit de joyeuse humeur : il n'avait pas été le seul à être modifié, les Lyrdes l’avaient été également à son contact ... Éésis secoua la tête d'un air serein : vraiment le monde, l'univers n'était pas parfait et même la synthèse, pour parfaite qu'elle apparaissait, avait des lacunes… Xand y était tombé... Slor aussi, peut-être… Cela expliquerait alors l’étrangeté de son attitude.
-Où se trouve Slor, Professeur? Xand eut l'air étonné. Une fraction de sectième après, il ajouta. Je ne préfère pas me servir trop de la synthèse en ce moment pour communiquer ... J'ai eu un passage assez difficile, je crains d'en avoir abusé.
Tout cela était rigoureusement exact.
-Nous avons pensé la même chose avec Slor. Ces séances répétées vers Aïlaé, enfin... Slor est au troisième sous-sol de la pointe est. Il prépare les caisses de ce que nous pourrons avoir besoin sur Xérys. Demain ou après-demain, il faudra rejoindre Lyrde 7 d'où aura lieu le départ pour la mission officielle d'ici un peu moins d'une semaine. Tu pourras voir la ville, elle est particulière l’équalisation y est légèrement surévaluée et puis il y a là-bas des tridics sur Xérys.
Deux a-jours plus tard, Slor, le professeur et Éésis partirent en flotteur vers Lyrde 7. Abandonnant Lyrde l, Éésis ne pouvait detacher son regard de la cour des Nétrilles, sa beauté allait lui manquer, ainsi que ces fontaines, ces arcades entremêlées entre les pointes aiguilles en métal d'Irid. Le dôme étincelait sous le ciel vert jade et le reflet de Xérys se fixait en lui. Alors Éésis tourna la tête et regarda devant le flotteur, il découvrit Slor et le professeur qui l’observaient. Il eut un signe de tête et s'enfonça dans la contemplation du paysage qui défilait en dehors du flotteur d'un air absent.
Ils étaient partis tôt car Lyrde 7 était éloignée de Lyrde 1 dans la région d'Oli mais bien au-delà de Satil d'O 7. Ils virent passer trois brises et malgré la vitesse du flotteur, ils n'y parvinrent qu'à la nuit tombée. Le ciel était d'un vert profond et Xérys, bien plus grosse qu’à Lyrde 1, y resplendissait argentée sous les rayons de son soleil. Éésis sentit son âme s'enfuir, parcourir des ectaters pour rejoindre Xérys si proche et pourtant si lointaine. Xérys, blanche planète, oh ma mère ... Une sérénité sans nom s'installa sur son visage: son aura était si parfaite que Slor et Xand pensèrent qu'il équalisait. Éésis resta un moment perdu dans cet état. L'appel de Xérys était puissant et s'accroissait encore depuis le dernier message d’Aïlaé.
- Nous sommes à destination, annonça Slor en effleurant le bras d’Éésis qui reprit pied dans la réalité avec un air un peu absent, la pensée encore ailleurs... sur une planète blanche.
-Bien ... c'est parfait.
Ils descendirent tous trois dans un des bâtiments officiels où étaient regroupés les lyrdes devant faire partie de la Délégation officielle. Slor donna ses indications pour que l’on transporte ses différents paquets dans le vaisseau diplomatique. Ils se retrouvèrent dans trois chambres regroupées dans un même espace, elles étaient assez petites mais le lit à reflux magnétique était de première qualité.
-Ce n'est que transitoire, nous partirons bientôt, dit Slor en les entraînant dans Lyrde7.
La nuit était sombre, le métal d’Irid éclairait les rues d'une phosphorescence étrange. Cette ville semblait sortie d'un lieu magique. Éésis avait admiré Lyrde 1 et devant la cour des Nétrilles, il ne pensait pas pouvoir découvrir quelque chose de plus beau. Quelque part très loin, une musique retentit par la Lyre de la synthèse... Cette musique était apaisante et enivrante à la fois. Les lyrdes qui passaient semblaient plus que sereins, comme dans une légère béatitude, avec une expression rare de quelqu'un qui aurait respiré dans l'air environnant la senteur distillée d'un paviflora brûlé.
-C’est curieux la synthèse ne semble pas étale, remarqua Éésis je ressens comme une déviation positive.
-C'est exact répondit Slor. Lyrde 7 est un peu à part; c'est ici que la dissipation des lyrdes s'accomplit et notre synthèse régule un peu plus positivement certaines des zones car les déviations négatives peuvent être bien plus importantes. Mais tous ceux qui sont en phase sans décalage particulier, se sentent malgré l'équalisation un peu dévié positivement…
-C'est ici que se trouve le palais des déviations positives. Il y a des partitions à parfums absolument extraordinaires!
Éésis regarda surpris le professeur Xand, ses yeux brillaient et son expression ne laissait aucun doute sur son enthousiasme. Le professeur subissait, bien plus fortement que Slor, l'influence de cette modification artificielle. Celui-ci en voyant sa surprise conclut:
-Oui, enfin de façon plus ou moins intense… bien sûr.
-Bien sûr, répondit le taor avec un demi-sourire.
Il y avait de nombreux bassins d'eau, tous immobiles sans aucun jet. Un silence régnait et rendait tactile l'atmosphère de la ville où glissaient des lyrdes comme des murmures entre les maisons sphériques lumineuses. Éésis pensa à un rêve mystérieusement feutré, avec de nombreux flambeaux renvoyant de la surface miroir, aux parois de verre, au métal des sphères une lumière brumeuse.
Slor lui montra un grand palais translucide en annonçant :
-La maison des déviations positives : dans les étages élevés, tout en haut de l’hélice, la déviation est beaucoup plus importante... Il ne faut pas en abuser.
-Sans faire d'excès, une petite déviation ne peut pas compromettre l'équalisation, dit Xand.
-Professeur... répliqua Slor, tu es si intraitable sur la régulation de la synthèse…
-Tu sais, Slor depuis ce problème avec la synthèse... Et puis, il faut essayer ; nous partons pour un long périple dont l'issue est sinon incertaine, du moins inconnue de la synthèse, alors…
-Professeur, dit Éésis, vous me paraissez bien pessimiste.
-Justement. Mon flux a besoin de se réajuster, dit le professeur avec un soupçon d'air bougon. Vous devriez essayer tous les deux et Éésis arrête de m’équaliser.
Il monta l’escalier et ils le virent disparaître à l’intérieur.
-Mais je ne l’ai pas équalisé, protesta-t-il.
-Oh si. Je l’ai senti. Allez viens, il vaut mieux le suivre sinon il restera trop longtemps. C'est vrai que cette perturbation l'a modifié.
Slor entra dans le palais entraînant Éésis par le bras. Ils franchirent des passerelles, des loggias. Il y avait de nombreux lyrdes mais ils ne retrouvèrent pas le professeur. Finalement, après un long moment, ils se séparèrent pour le chercher.
Tout en cherchant Xand, Éésis repensait à cette équalisation involontaire ... Comment cela se pouvait-il? Il n'avait pas cherché à équaliser son humeur. Il avait donc juste pris comme la température de l'aura de Xand, sans se mouiller complètement. Éésis, étonné par ce qu’il voyait, ne parvenait pas à trouver un initiateur. Cependant une voix en lui, lui chuchotait qu'il avait peur de pressentir, il savait qu'il avait déjà pressenti mais qu’il avait refoulé, par peur, la conclusion au fond de sa conscience. En évitant de remonter la rampe hélicoïdale, il continua de chercher longtemps Xand sans pouvoir le trouver. Il essaya de retrouver Slor, sans résultat. Il finit par sortir, seul, du merveilleux palais des déviations positives. La nuit s'était déroulée comme un tapis obscur et bientôt, on en apercevrait la frange lumineuse...
Les maisons aux parois phosphorescentes comme ces pierres d'amour qui contiennent dans une bulle de fin treillage des petites bêtes lumineuses de la planète de Gania, s'éteignaient doucement en même temps que le ciel devenait clair vers le lever du solei1 de Lyrde. Leurs couleurs s'accentuaient vers le rose rappelant à Éésis, la cour de Nétrilles et les rayons de lumière teintèrent peu à peu de vert tilleul, les arcades aux facettes de verre.
Peu à peu, Éésis vit s'en aller les Lyrdes du palais des déviations.
Le matin se leva apportant des parfums venus des prés lointains et bientôt, le chant des Lyres retentit enveloppant toute la planète dans une communication étroite à laquelle Éésis ne participa pas...Surtout pas. Les lyrdes qui restaient là, quelques instants, semblèrent se modifier légèrement reprenant leur élégance de mouvement et leur sérénité extatique. Il ne put s'empêcher de penser que le moyen de la synthèse ressemblait fort à un remède qui répartissait à toute une planète les contrecoups et les souvenirs de cette enrichissante expérience. Il pensa au professeur et se demanda s’il avait participé à la synthèse après cette "enrichissante expérience". Éésis resta encore de nombreux moments devant le palais regardant si par hasard Slor et le professeur ne sortaient pas tardivement. Lorsque la brise du zénith se leva, il se dit qu'il avait suffisamment attendu. Mais où aller ? Comment rejoindre le bâtiment où ils étaient tous trois logés ? Il lui était impossible de demander un renseignement comme il l'aurait fait sur Taor et sa raison se refusait à chercher dans la synthèse. Finalement, se dit-il, faisons confiance à la chance. Rassemblant ses souvenirs, il partit devant lui, déambulant dans Lyrde 7 au petit bonheur.
À la fin de la journée, Slor dans la chambre marchait d'un air songeur
-Slor, équalise voyons.
-Professeur, tu n'as pas fait la synthèse ce matin.
-Oui, mais c'est différent dans le positif. Slor, toi tu dévies dans le négatif.
-Il était bien. Il n'aurait pas disparu ainsi…Et on n’arrive plus à le joindre en direct sur le gradient où il se situe.
-Il n'est pas perdu. En cas de nécessité, il se servira de la synthèse. Il suffit de déposer le message pour le niveau où il accède, on lui transmettra.
Seulement, Éésis ne put rien recevoir. Ce qui fit que le lendemain au rendez-vous convenu pour visionner les reproductions tridic de Xérys, Xand et Slor se retrouvèrent seuls.
-C'est déjà plus grave, accorda Xand avec un froncement des sourcils.
Slor équalisa pour stabiliser son aura...
-Il n'a pas reçu le message: soit il lui est arrivé quelque chose qui l'en empêche soit… soit...
Xand regarda Slor
-oui... tu as une idée?
Slor resta un moment sans dire un mot.
-Il faut le chercher... faire le tour des espaces de soins…tu t’en charges, Xand. Moi, je vais essayer de le joindre personnellement. L’autre fois Éésis t’a bien équalisé ?
-Ah oui, ça...
-Et l'as-tu équalisé aussi.
-Bien sûr, son aura était légèrement déviée positivement... Slor resta silencieux.
La journée se passa difficilement pour Xand et Slor, ils devaient faire face à une variation de flux qu'ils devaient corriger à tout moment. Puis vers la fin de l’a-jour, Slor reçut un message de Xand disant qu’il avait trouvé Éésis à l'espace de dissipation OOB et qu’il le ramenait... Il ajouta que tout était bien.
Slor décompensa brusquement, sa rectification du s’inverser d'un seul coup... il rentra à la chambre, s'allongea rompu sur le lit à répulsion et sombra dans un sommeil réparateur.
Éésis était arrivé à l'espace de soins dans l'après-midi de la veille et il y avait fait la rencontre de lyrdes malades atteints soit d'une perte de vie soit d'un trop de vie. L'Éésis que Taor avait formé s'était réveillé cherchant les causes, ouvert à tous les aspects des civilisations, son esprit curieux avait sondé le problème ...
Cette rencontre lui avait fait oublier le reste, il avait parlé avec eux et scruté leurs auras. Finalement, il était resté à pressentir sur des questions qui le troublaient.
Tous ces lyrdes étaient très malades mais tous avaient cette sérénité de la synthèse. Il s’était enquis de leur maladie: les uns n'avaient pu répondre, d'autres lui citaient des maladies graves, parfois même l'un d'entre eux annonçait sa fin imminente... Aucune rébellion, aucune attache, aucune rage de survivre, comme il l'avait déjà vu sur Taor ou d’autres planètes, entraînant parfois des guérisons inespérées.
Les lyrdes atteints prenaient soin d'eux même autant qu'ils le pouvaient et le voulaient et la disparition imminente de certains des leurs se dissolvait dans la mer de la synthèse sans autre remous ...
Ils étaient équalisés jusqu'à leur dissipation et cela sans aucune révolte.
Éésis avait subi à cette découverte une déviation d'une amplitude inattendue. Petit à petit, il sentit qu'il réussissait à équaliser son aura sans le rassembleur. Il percevait nettement que le phénomène ressenti correspondait à celui de la synthèse. Il savait qu’il n’était pourtant pas complètement rétabli et le fait de se stabiliser même sans rassembleur le terrifia. Était-ce lui-même? Était-ce Lyrde? Il s'enfonça dans son esprit suivant pour initiateur Xérys et resta dans une quasi-inconscience quand Xand, qui faisait le tour des espaces de soin, le découvrit prostré. Il le signala à Slor et le ramena. Éésis restait muet, le visage fermé; Xand n'osa pas lui parler. Ils se couchèrent tous deux, la nuit était avancée. Bientôt dans les chambres, il n'y eut plus que des respirations dont l'une était oppressée. Là-bas, la douce mélopée de lyre et une voix étrangement cristalline célébraient la synthèse. Éésis se réveilla en sursaut une fois, étreint par une peur à la limite de l'angoisse; il pressentait du danger flou, informe, inconnu. Il doutait que ce fut la synthèse ... mais cela eut pour résultat de le faire se recroqueviller une nouvelle fois en lui-même comme une anémone de mer des ancestraux de la grande bleue et il sombra dans une nuit bienveillante coupée totalement du monde extérieur.
Quand Slor se réveilla, il découvrit Éésis dans cet état: les yeux ouverts tournés dans un regard intérieur en lui-même, avec un air serein. Slor s’approcha, il respirait régulièrement. Il souleva les cheveux juste derrière les oreilles il n'y avait pas de rassembleur. Il s'en était douté puis avait refusé cette idée. Maintenant, il n'y avait plus de doute mais comment pouvait-il équaliser ? Par quel miracle pouvait-il les équaliser Xand et lui ?
Ce n'était pas l'équalisation de la planète et pourtant cela y ressemblait; en fait cette équalisation prenait sa source en Éésis lui-même. Slor resta un moment indécis sur ce qu'il devait faire, en tout cas l'idée d'en référer à la synthèse, ne l'effleura pas. Le seul problème…Le dire à Xand ? Il était là à hésiter. Éésis reprit conscience vers lui :
-Bonjour à ton soleil, Slor
Slor ne répondit pas. Éésis resta un moment à l'observer puis dit lentement:
-Tu veux que je t'explique ce qui s'est passé ?
-Quand ? À Lyrde 1?
-à Lyrde 1 puis à Lyrde 7. Appelle Xand, c'est moi qui te le demande. Le lyrde tressaillit.
-Comment …?
-Appelle-le. C'est moi qui te le demande.
Xand vint les rejoindre.
-Asseyez-vous tous les deux et équalisez, dit Éésis. Vous en aurez besoin. Je vais vous raconter ce qui s’est effectivement passé depuis Lyrde 1 le jour de la perturbation jusqu'à maintenant. J’ai fait face seul ... mais je ne peux plus... J’ai besoin d'aide, sinon je me réfugie en état de prostration comme hier à l'espace hôpital. Éésis se mit marcher doucement et raconta pas à pas ce qui s'était passé. À un moment, il posa le rassembleur sur les genoux de Slor et continua son récit. Lorsqu'il arriva à la fin, la deuxième brise avait déjà soufflé depuis longtemps. ...Voilà, quand j'ai réalisé que j'avais équalisé, que je pouvais faire et intégrer la synthèse sans lui j'ai été pris de terreur : une terreur panique. J'avais un souvenir tellement horrible de ... tout ça ! C'était au-dessus de mes forces et de ma raison, alors j’ai sombré dans cet état où le professeur m'a trouvé. Xand et Slor avaient des traits crispés. Éésis comprit qu'ils n'avaient rien déversé vers la synthèse. Il sentit l'intensité de la déviation au niveau de leur aura. Il s’approcha d'eux et tendit ses mains, avec un sourire bienveillant. Allez-y…Vous en avez besoin.
-Mais, tu…
-Slor, cela ne me pose pas de problème. J'ai peur de m'équaliser moi, pas les autres. Xand posa sa main sur celle d'Éésis. Slor hésitait encore; Éésis lui prit la main. Ils restèrent un moment ainsi. Les figures des deux lyrdes redevinrent impassibles pendant que leurs auras se stabilisaient.
-Le doute n'est plus permis, dit Xand. Slor... Éésis est passé au stade ultime des sages. Il est une des liaisons de la synthèse détachée de sa structure. Éésis, tu t’es ouvert au-delà de tout ce qui nous était connu, si profondément et de si nombreuses fois à la synthèse, que lorsque tu t’es installé sur ce fauteuil, tu étais en état suraiguë de réception et de formation... La synthèse t'a transmis tout ce qu'elle pouvait jusqu'au stade ultime : la possibilité de la faire de toi-même. Le professeur réfléchit un moment. Quand tu te noyais dans la synthèse pour rejoindre Aïlaé, cela a préparé le terrain et tu as progressé tant, dans celle-ci que nous ne pouvions déjà plus te contacter directement, et cela même avant que tu n’ailles sur le fauteuil. Il reprit après un silence. Tu équalises les autres, tu t'équalises mais la source est en toi. Tu perçois les auras sans problème je suppose ? Éésis hocha lentement la tête. Quant au problème effectif de la synthèse de Lyrde et de ses communications internes : tant que tu n’essayeras pas, tu ne pourras pas le savoir. Tu peux peut-être communiquer sans l'aide du rassembleur. Mais est-ce que tu peux communiquer avec nous sans que nous en ayons un, nous-même.
-Un cobaye, Professeur?, conclut avec un sourire Éésis.
-Comment cela. . ?
-J'ai vu quelque chose mais je ne sais pas quoi et je ne pourrais vous le décrire... Arrétons de divaguer. Il faut visionner les tridics de Xerys. Le départ est prévu pour après-demain-soir.
-Vous n'avertissez pas la synthèse? demanda gravement Eésis.
-C'est hors de question! intervint Xand.
-Je suis de son avis, nous partons pour Xerys enfin nous essayons et tu es un des points capitaux de ce voyage. Eésis tressaillit insensiblement.
-Bien maintenant que ceci est réglé. Restaurons-nous.Allons travailler et aprés ,un petit séjour où je sais.
-Professeur!
-Non, non restez ici si vous voulez mais j'irais sans trouble fête. -Je suis raisonnable, c'est tout. -Je comprends mieux l'aversion d'Eésis pour la
synthèse..A ce propos... arrete de stabiliser mon aura contre mon gré. Les sages ne stabilisent que ceux qui y font appel!
Eésis se mit à rire en disant:
-Le problème, Professeur Xand, c'est que je ne suis pas un sage."
-C’est un avantage pour toi. Je crois que ce ne sera pas inutile. Ce voyage, je crains qu’il ne soit pas aussi tranquille que…Slor fut interrompu par le rire d’Éésis.
-C'est un comble, je me mets à équaliser, tout seul et lui, il pressent et vous, Professeur?
-Je crois que je retournerais au palais des déviations positives. Tout ceci m'a secoué malgré ton aide.
-Je ne pressens rien mais il y a quelque chose qui me met mal à l'aise, ne put s'empêcher de reprendre Slor avec un air très sérieux. Éésis demanda intrigué à Xand :
-Est-ce possible? Le jour de la perturbation que faisiez-vous juste avant qu'elle ne se produise?
-Nous parlions de toi, d'Aïlaé.
-La dernière chose que j’y ai versé ou retiré, dit gravement Slor, c'était la pensée de la grande bleue, il y avait la représentation ou une photo et puis Xérys...
-C'est cela, c'est exactement cela, c'est à partir de là que je suis entré en position de pressentir et d'inverser la puissance de la synthèse ...
-Vous étiez en relation directe, à ce moment-là... Slor qu'as-tu ressenti, vu ou entendu ce jour-là.
-J'ai vu et entendu quelque chose mais je ne sais pas… je ne pourrai vous le décrire... Il faut visionner les tridics de Xérys. Le départ est prévu dans deux a-jours.
-Vous n'avertissez pas la synthèse? demanda gravement Éésis.
-C'est hors de question!, intervint Xand.
-Je suis de son avis, nous partons pour Xérys enfin nous essayons et tu es un des points capitaux de ce voyage. Éésis tressaillit insensiblement.
-Bien maintenant que ceci est réglé. Restaurons-nous. Allons travailler et après, un petit séjour où je sais.
-Xand! Ce n’est pas prévu d’utiliser les déviations de Lyrde 7 dans ce but…L’équalisation doit être étale !
-Restez ici si vous voulez. Éésis pour la synthèse… À ce propos... arrête de stabiliser mon aura contre mon gré. Les sages ne stabilisent que ceux qui y font appel!
Éésis se mit à rire en disant:
-Le problème, Professeur Xand, c'est que je ne suis pas un sage.
Pendant qu'Éésis et Slor se débattaient avec eux-mêmes et que le professeur profitait des derniers a-jours avant le départ, quelque part dans l’espace le conseil interplanétaire de la Charte se tenait après l’annonce de l’envoi de la délégation lyrde en voyage diplomatique et son entrée dans une ère d’ouverture. Lyrde avait communiqué à Taor dirigeant actuel des multi liaisons officielles, le parcours suivi, les escales et les noms des participants pour solliciter l’accord des planètes de la Charte.
-Passons au vote dit Taor, nous entérinons l’ordre de passage de Lyrde ; c’est un ordre alphabétique ancestral qui a le mérite d’éviter toute préséance.
Les voix se rangèrent l'une après l'autre à la même opinion.
-Dans leurs listes, continua le conseiller, des différents lyrdes faisant partie de cette mission, se trouve effectivement Éésis, notre envoyé. Cela ne fait pas un grand laps de temps qu’il est parti, mais sa qualité de préssenteur, un des meilleurs depuis longtemps, laisse à penser qu’il aura certainement au moins quelques idées sur ce sujet. Il est à noter qu’il est présenté par Lyrde comme un de ceux qui ont maîtrisé « la synthèse » et qu’il tiendra des rapports sur ce sujet. Dernière recommandation: vous avez tous eu sur votre planète à un moment la présence d'Éésis de Taor, vous êtes priés de lui faciliter son passage et simplifier sa mission. Car je vous rappelle que Lyrde a beau s'ouvrir à nous, peut-être ne voudra-t-elle pas nous livrer le secret de la synthèse donc quand Éésis sera de retour sur Taor nous pourrons alors faire le point sur ce qu’il aura découvert.
Les uns après les autres, les représentants des autres planètes donnèrent toutes garanties quant à la sauvegarde du préssenteur et mirent fin à la communication. Le dernier, Soliden remarqua:
-Conseiller, vous n'auriez peut-être pas dû insister sur le fait qu'Éésis avait déjà compris le fin mot de tout cela. Il serait étonnant qu'ils ne cherchent pas à…
-Soliden, coupa Étidanoé d'un ton agacé, vous les avez tous entendu, ils ont donné leurs paroles d'assurer sa sauvegarde.
-Toutes vos banques de données ne vous ont rien appris, Conseiller, soupira son interlocuteur. Vous avez mon engagement également de tout faire pour la sauvegarde d'Éésis. Taor. Je vous rends la liaison. Soliden.
-Taor, Fin du conseil 4.7.1. Transfert à la banque de données.
Le grand Conseiller fut troublé par ce qu'avait dit Soliden mais il l'oublia bien vite, tant était désagréable pour lui ces conseils interplanétaires où les représentants officiels passaient généralement leurs temps à s’insulter en termes diplomatiques.
Pendant qu'il reprenait ses occupations préférées respectant ainsi son individualité la plus stricte, les autres voix de la liaison donnaient sur leur planète respective les ordres pour accueillir les Lyrdes avec le faste et la prudence nécessaires. Sur quatre de ces planètes, se nouèrent des conversations dont les paroles échangées présentaient une étrange similitude et donnaient raison au dictateur de Soliden :
-Nous savons que ce taor a été envoyé avec notre aval, mais nous savons qu'il faut se méfier des autres planètes, elles chercheront certainement à trouver avant nous ce secret et à en tirer avantage contre nous. Nous vous chargeons de faire le nécessaire pour que ce secret reste en nos mains et surtout pas dans les leurs.
-Vous pouvez compter sur ma loyauté, et ma diligence. Je vais tout mettre en œuvre pour accomplir dignement ma mission. Je pars sur Aria.
Et sur chacune des planètes, prirent congés le professeur Rhétus du Président Gale sur Aria, la fidèle Cathyse de la Mère, Reine d'Arnie, le seigneur Exadius de Kerody le vieux chambellan du Roi Ineracu dans sa forteresse royale d'Alguénar sur Gania et le grand Ordonnateur du Jill'sin à Lumière sur Jiliane
Ailleurs, sur la cinquième planète de la Charte le dictateur de Soliden parlait :
-Écoute moi, Xi, ce grand Conseiller de Taor a agi comme un imbécile, je suis sûr que tous les autres ont déjà pris les mesures pour obtenir en premier le secret de Lyrde. Pour un cadeau, il lui en a fait un empoisonné à son envoyé, tout préssenteur exceptionnel qu’il soit ! C'est quelqu'un de bien dans son genre, avec lequel j’ai partagé l’étraïl et il ne mérite certainement pas que cette bande de fous se rue sur lui pour lui extorquer ce qu'il peut savoir. J'espère me tromper et être trop pessimiste. Il secoua la tête d'un air qui en disait long. Nous sommes tous de la même sale race et j'ai toutes les chances d'être dans le vrai. Alors, tu sais ce que tu as à faire?
-Eh bien, Soliden, partir sur Aria le suivre comme une ombre, 1ui éviter les problèmes tout au long, le ramener ici…
-Stop!, l'interrompit Soliden, Colonel Xi. Tu le laisses venir. Après cela sera de mon ressort et surtout de celui de Taor, si Taor a encore une quelconque influence sur lui. Le plus important, continua le Tyran, c’est qu’il parvienne sur Taor sans dommage.
-C’est entendu, Soliden. Je veillerai sur lui.
-Je compte sur toi, Xi ! Ne l'oublie pas.
La silhouette du Colonel refit son salut en portant sa main sur l'épaule opposée, il sortit par la grande porte de la salle d'armes et laissa le dictateur de Soliden, seul plongé dans ses pensées, les yeux fixés sur la baie d’Ergos embrasée par le soir.
-Éésis de Taor, c’est tout ce que je peux faire pour toi. Que la chance t’accompagne au long de ta route.